Sakassou: Une indemnisation de 50 millions FCfa divise un village

Sakassou: Une indemnisation de 50 millions FCfa divise un village

La chefferie de Wamela Kouassi Klokro dans le département de Sakassou, à 413 kilomètres d’Abidjan, est à couteaux tirés avec la famille N’dri Kouamé du même village en raison d’une indemnisation de purge des droits coutumiers estimée à plus de 50 millions Frs Cfa portant sur la construction d’un collège de proximité sur 8 hectares 02 Ares 67 Ca. Zoom sur cette enquête des services de la direction départementale de l’agriculture dont le résultat, l’indemnisation, aura suffi pour allumer la flamme de la discorde.
Les faits remontent à l’année 2012. L’Etat envisage la construction de trois collèges de proximité dans trois villages de Sakassou : Ayahou-Sokpa, Dibri Assrikro et Wamela Kouassi Klokro-Assandrè. Celui de Ayahou-Sokpa est fonctionnel à ce jour tandis que ceux des deux autres localités sont en construction. La même procédure foncière est engagée par le corps préfectoral qui exécute la décision de l’Etat.
Il s’agit de l’identification du site, de ses occupants et des propriétaires. Le propriétaire du site étant désigné par les occupants dudit site et la chefferie. Aux termes de cette enquête sur le terrain, une attestation de propriété ou attestation de reconnaissance est délivrée au bureau par le sous-préfet. Cette opération se poursuit dans le meilleur des mondes possibles à Ayahou-Sokpa et Dibri Assrikro à l’exception de Wamela Kouassi Klokro où des voix s’élèvent lors de l’indemnisation pour crier au scandale.

2012 : une attestation de propriété pour N’Dri Kouamé
La procédure, évoquée supra, débute pour le compte du village Wamela Kouassi Klokro en 2012. Yao Kouacou, alors sous-préfet de Sakassou instruit la direction départementale de l’agriculture pour diligenter une enquête sur le terrain. Les agents de l’agriculture s’exécutent. Les 14 exploitants agricoles du site de 8 hectares soutiennent de façon unanime que cette parcelle est la propriété de N’dri Kouamé. Pareil pour le chef Kouakou Kouamé et sa notabilité. Ainsi, le sous-préfet fait établir, le 12 novembre 2012, une attestation de propriété à N’dri Kouamé, cultivateur, la quarantaine révolue. Cette attestation porte la signature du chef du village, Kouakou Kouamé et du sous-préfet Yao Kouacou.

2017 : Attestation de reconnaissance pour N’Dri Kouamé
Après cinq années, l’Etat retrouve toute sa vigueur et revient au projet. Assi Achille, nouveau sous-préfet instruit la direction départementale de l’Agriculture pour l’expertise des dégâts de cultures. Le premier volet du travail (le choix du site et l’identification du propriétaire terrien) ayant été réalisé en 2012 sous la coupole du sous-préfet Yao Kouacou. Les agents Adouko Ablé Henri Joel et Apkoué Konan Florent sont dépêchés sur le terrain. Les occupants et la chefferie confirment que le site appartient à la famille N’dri Kouamé. Cette fois-ci, le chef du village Kouakou Kouamé et son porte-parole Koffi Trogbo, N’dri Kouamé Edouard, membre de la famille détentrice des droits coutumiers et des témoins sont invités dans les locaux de la direction départementale de l’Agriculture où l’agent Adouko Ablé Henri Joël leur fait signer l’attestation de reconnaissance de la parcelle à N’dri Kouamé. Les signataires font légaliser eux-mêmes cette attestation à la sous-préfecture. Le dossier suit le circuit hiérarchique jusqu’à Abidjan au ministère de l’éducation nationale ainsi que celui de l’économie et des finances.

2018 : Le dédommagement de N’dri Kouamé pose problème
Une année après le transfert des dossiers à Abidjan, le ministère de l’économie et des finances répond favorablement. Coulibaly Gando, nouveau préfet de Sakassou depuis 2017, convoque le propriétaire terrien et les exploitants agricoles. Il se garde de communiquer les montants mais demande à ceux qui percevront plus de trois mille francs Cfa d’ouvrir des comptes. C’est au contrôle financier que les bénéficiaires font connaissance de leurs gains notamment 7 millions Frs Cfa pour les 14 exploitants agricoles et 50 millions Frs Cfa pour le propriétaire terrien N’dri Kouamé. Telle une traînée de poudre, la nouvelle se répand aussi bien au village qu’auprès des cadres à Abidjan. S’en suit une vague de réprobation. Il est reproché à N’dri Kouamé d’avoir usurpé le titre de propriétaire terrien et à l’agent Adouko Ablé Henri Joël d’avoir fait du faux en remplaçant le nom du propriétaire terrien, le chef du village par celui de N’dri Kouamé. « Il n’y a pas eu d’enquête. On ne peut pas savoir s’il y a opposition ou pas. Le document devait être produit et réalisé dans le village même à main levée par le président du foncier. C’est le village qui produit l’attestation de propriété ou de reconnaissance des droits coutumiers. Si le document était fait au village, il serait au nom du chef et nom de N’dri Kouamé car l’attestation villageoise était au nom du chef du village. Adouko le sait très bien mais il a fait une attestation et propriété et une attestation de reconnaissance au nom de N’dri Kouamé », soutient Yao Kouassi Stanislas, chef de file de cette opposition proche de la chefferie. Ils vont plus loin en affirmant que le chef a été enlevé un matin à 6 heures par N’dri Kouamé et son frère N’dri Kouamé Edouard, venu de Ferké pour aller signer un document au bureau de l’agent de l’agriculture Adouko Ablé Henri Joël. Pour rappel, le chef Kouakou Kouamé (93 ans) est un vieil homme qui fait fasse au poids de l’âge. Toutefois, ce dernier reconnait dans un procès verbal d’une enquête de la gendarmerie réalisée le 30 octobre 2018 qu’il a signé des documents parce que N’dri Kouamé et ses frères lui avaient promis une part de l’argent du dédommagement. « Monsieur le Préfet nous a appelé à son bureau et nous a dit que les documents en sa possession font état de ce que N’dri Kouamé est le propriétaire terrien. Je n’ai rien dit parce que j’étais convaincu que j’allais recevoir ma part… », avoue le chef du village Kouakou Kouamé. Autre argument soutenu par le village, les terres appartiennent exclusivement au chef du village. Ainsi, l’heureux bénéficiaire doit verser la moitié de son gain au village. Les avis sont partagés sur la question. Nanan Kouakou Kouamé, chef central d’Assandrè, affirme mordicus que les terres d’un village appartiennent exclusivement au chef du village. « C’est le chef du village qui adore la terre, fait les fétiches, les libations. Les autres l’utilisent pour nourrir leurs familles », précise-t-il. A la Cour royale du Walebo, cette assertion n’est point partagée. « Les terres appartiennent aux familles. Chaque famille a sa portion de terre », réplique le porte-parole connu sous le prénom Mathieu. Face au refus du jeune N’dri Kouamé de céder la moitié de cette somme au village, plaintes et courriers se multiplient à son encontre. 27 septembre 2018 : une première plainte est portée contre N’dri Kouamé pour usurpation de titre. 8 octobre 2018, une opposition de paiement de fonds est faite. Un recours administratif en annulation de paiement est adressé au corps préfectoral et au Trésor à Sakassou. 15 décembre 2018: l’agent Adouko Ablé Henri Joël reçoit une plainte adressée à sa direction régionale, puis une autre adressée au ministère de l’Agriculture.
Pour Coulibaly Gando, actuel préfet de Sakassou, l’attitude des proches de la chefferie traduit leur cupidité. « Ces cadres venus d’Abidjan ne sont pas dignes devant l’argent. Un dossier qui a commencé en 2012, où la chefferie a reconnu que la parcelle appartient à N’dri Kouamé, c’est quand l’argent de l’indemnisation vient 6 années plus tard, en 2018, que des cadres se signalent. L’Administration est une continuité. Je ne peux pas remettre en cause ce que mes prédécesseurs ont fait depuis 2012. Les dossiers ont été faits sur la base d’une enquête. Dans les deux autres villages (Ayahou-Sokpa et Dibri Assrikro Ndrl), les chefs de village ne sont pas propriétaires exclusifs des terres. Aucun chef n’a été bénéficiaire. J’ai proposé un règlement à l’amiable. Mais ils ont préféré aller au Tribunal », s’est-il voulu sans équivoque. Quant au principal mis en cause, N’dri Kouamé, il y voit de la pure jalousie vis-à-vis de son héritage. Une action orchestrée par Yao Kouassi Stanislas, président des jeunes et son père Kouassi Yao, instituteur à la retraite, président du Comité de gestion foncière rurale. « Le chef du village, Kouakou Kouamé est le grand père de Yao Kouassi Stanislas et son père Kouassi Yao est le président du Comité de gestion foncière. Ils luttent donc pour leur famille et non pour le village », se défend-t-il. Lauréat du prix OLAM du meilleur producteur d’anacarde en 2014 dans le département de Sakassou, ce cultivateur est fils de l’un des premiers chefs du village, Nanan Kouassi Konan. Il soutient que le site de 8 hectares fait partie de 42 hectares appartenant à sa famille.

Les intrigues DU porte-parole Koffi Trogbo
Tous les arguments de la chefferie, portés par Yao Kouassi Stanislas, sont battus en brèche par l’attitude de Koffi Trogbo, porte-parole du chef du village. Si le chef ne sait ni lire ni écrire, son porte-parole Koffi Trogbo, lui le sait. Il a toutefois signé l’attestation de reconnaissance faisant de N’dri Kouamé le propriétaire terrien aux dépends de son chef. Par ailleurs, il a rédigé un courrier pour s’empresser de l’effectivité de l’indemnisation de N’dri Kouamé. Koffi Trogbo a refusé de répondre à nos questions. Mais ses actes trahissent sa pensée. Lorsque nous mettions sous presse, un retournement de situation s’est opéré à Sakassou. Yao Kouassi Stanislas, président des jeunes et son père Kouassi Yao, instituteur à la retraite, président du Comité de gestion foncière rurale ont été jetés à la prison civile de Bouaké depuis vendredi 26 avril 2019. Ces chefs de file de cette opposition contre l’indemnisation de N’dri Kouamé, par ailleurs auteurs des plaintes au Tribunal à l’encontre du bénéficiaire, se retrouvent derrière les barreaux pour propos calomnieux à l’encontre de l’agent de l’agriculture Adouko Ablé Henri Joël. Pour eux, des agents véreux de l’Etat procèdent à une division des fils du village pour s’arroger les terres.
CYRILLE NAHIN, in L’Eléphant déchainé n°639

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