Rupture Pdci-Rda/Rdr-Rhdp unifié: Depuis les USA, un professeur de science politique recadre Jeune Afrique et Ouattara (Réponse à jeune Afrique)
Dans son numéro 3015 du 21 au 27 octobre 2018, l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, dans son reportage sur la rupture entre le PDCI-RDA du Président Bédié et le RHDP unifié du Président Ouattara, semble avoir pris, clairement position pour le Président Ouattara et, tout logiquement, accable le Président Bédié et le rend responsable de cette rupture.
Sans remettre en cause le choix du magazine – dans la vie, chacun a ses amis- je voudrais souligner ici, le caractère partiel et partial du récit que Jeune Afrique a fait des événements successifs qui ont amené à la rupture entre les deux partis et les deux leaders politiques.
Pour comprendre la position du Président Bédié, que Jeune Afrique accuse de va – guerre – à tort – il faut remonter à des années depuis le début de l’exercice du pouvoir par la coalition RHDP en 2010, et même avant– objectivité oblige- car, mon grand – père m’as toujours dit ceci. : « Si tu trouves, sur ton chemin, deux hommes entrain de se battre à coups de poing, quand tu réussis à les séparer, la première question que tu dois leur poser, c’est quel problème existait-il entre vous ? Car, pour qu’ils en arrive au point extrême des coups de poing, il y a eu des antécédents fâcheux ».
Cette attitude empreinte de sagesse africaine a manqué au magazine panafricain dans le traitement et l’analyse de l’information sur la situation conflictuelle qui prévaut aujourd’hui entre les deux leaders dont l’alliance semblait solide. Alors, Jeune Afrique fait endosser l’entière responsabilité au Président Bédié, l’intransigeant leader, « le va-t’en- guerre qui continue dans sa logique guerrière malgré la défaite de son parti aux dernières élections locales ».
Mais, le magazine Jeune Afrique sait –il vraiment de quoi il parle ? Peut-on prétendre être grand spécialiste de l’Afrique – et de la Côte d’Ivoire, le cas qui nous occupe- depuis Paris avec quelques voyages sur le continent, sans y suivre attentivement les évènements et comprendre la sociologie politique et la culture et sonder le subconscient collectif des peuples africains?
Pour ma part, je voudrais, sans parti pris, rappeler succinctement , mais avec précision, le cours des faits qui ont conduit à la rupture entre les deux alliés, laissant aux observateurs et lecteurs avertis et objectifs de faire leur propre appréciation.
A la création du RHDP, à Paris, en 2005, les alliés avaient convenu que tous les partis membre de cette coalition présenteront un candidats aux premier tour des élections présidentielles et qu’ils s’aligneraient derrière le partis membre qui arriverait au second tour( cf. , texte de la plateforme).
Aux élections de 2010, Alassane Ouattara est qualifié pour le second. Tous les autres membres dont le PDCI- RDA (un des trois poids lourds) appellent, sans hésitation, à voter Ouattara qui sort vainqueur. Laurent Gbagbo, le président sortant, se déclare vainqueur et se fait investir par la Cour Constitutionnelle.
La guerre civile éclate entre Laurent Gbagbo, soutenue par une importante faction des forces de sécurités régulières et Ouattara soutenu par les soldats des ex-rebelles qui avaient tenté un coup d’Etat transformé en rébellion en 2002, qui occupaient toujours la moitié nord du pays. L’Union Africaine et l’ONU reconnaissent la victoire de Ouattara. Gbabo résiste.Ouattara, en compagnie de Bédié, forme un gouvernent confiné, puis bloqué à l’hôtel du Golf sous protection de L’ONUCI, force de maintien de la paix de l’ONU, installée en Côte depuis le début de la rébellion en 2002. Malgré les menaces de bombardement, et d’incitation abandonner Ouattara, Bédié reste à l’hôtel du Golf. En 2011, des bombardements de l’armée française,sur ordre de l’ONU, défont Gbagbo et permettent à Ouattara de s’installer au pouvoir ; bilan officiel, 3000 morts.
Mais, la coalition va être progressivement minée de frustrations, d’égoïsme, de dissensions, de mépris , de trahison et de guéguerre ponctuée de petites phrases assassines en privée qui sortent parfois au grand jour: Dès le départ, la large majorité des postes de responsabilité sont confiée aux gens du Nord. Au dire de la presse, le Président Ouattara explique cela par ce qu’il aurait qualifié de rattrapage ethnique en faveur des ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire qui auraient été exclus longtemps de la gestion de la chose publique, sans pouvoir en donner la preuve. Pire, malgré la portion congrue des postes de responsabilité réservée aux cadres du PDCI, quand l’un d’eux part à la retraite ou quitte son poste pour d’autres raisons, il est le plus souvent remplacé par un cadre du RDR, le parti du Président Ouattara. C’est le cas au BNEDT, à la PETROCI, au FER. On a parfois nommé à des postes de Directeur Général, des cadres RDR ayant déjà dépassé l’âge de la retraite prévue par la loi : c’est le cas au FER, au Conseil Café-Cacao, au Conseil du Coton et de l’Anacarde.
Or, sous le Régime PDCI-RDA, avec le Présidents Houphouët et Bédié, la géopolitique dans les nominations aux postes de responsabilité était de mise. Sous le régime FPI (2000-2010), un an après l’accession de Gbagbo au pouvoir, et suite à la rébellion en 2002, il a été formé un gouvernement de transition auqueltout le monde a participé, avec le partage plus ou moins équitable des postes de responsabilité.
ET tous les observateurs attentifs qui connaissent bien la vie politique constatent que tous les postes électifs du Nord de la Côte d’Ivoire sont occupés uniquement par les nordistes alors qu’au Centre, à l’Ouest, à l’Est et au Sud du pays, des ressortissants du nord occupent bel et bien des postes électifs (députés, maires, sénateurs). Entre nordistes et non nordistes, qui a l’esprit clanique en Côte d’Ivoire ? Ces observateurs notent également que les nordistes sont installés dans toutes les régions du pays, même dans les hameaux les plus reculés, en dehors du Nord. Qui discrimine contre qui ?
Bédié réclamera, en vain, les réglages (entendez par- là, la répartition équitable des postes de l’Administration entre alliés). Mais, il lance, malgré tout, son fameux Appel de Daoukro, en 2014, pour forcer pratiquement le PDCI et ses militants à ne pas présenter de candidat aux présidentielles de 2015, concédant ainsi un second mandat à Ouattara dans la perspectives d’une alternance de candidature au profit du PDCI-RDA, au sein de la coalition RHDP, en 2020. Surle champ, Ouattara accueille la nouvelle avec une joie frénétique et beaucoup de bonheur, mais reste évasif sur l’alternance, jusqu’en 2017, en parlant « du meilleur d’entre nous » pour 2020.
Quand, en 2018, il déclare,sur les chaines françaises de télévision qu’il n’a jamais fait de promesse à Bédié, sur une quelconque alternance au profit d’un candidat PDCI-RDA pour 2020, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Bédié, réputé modéré, très patient, qui a avalé tant de couleuvres, n’en peut plus : on l’a traité de menteur. Mais, il ronge ses freins sans rechigner. Et le processus de la création du parti RHDP unifié se poursuit. Le Comité de Haut niveau ad hoc créé à cet effet, fait adopter un délai de 12 mois à 18 mois, pour permettre à chaque parti membre de s’organiser pour se fondre dans le RHDP unifié.
Mais, deux à trois mois à peine, Ouattara, sans consulter Bédié, convoque, précipitamment, une Assemblée Générale pour créer le parti unifié. Bédié et la très large majorité des militants du PDCI-RDA refusent d’y prendre part et se réunissent en Bureau Politique le 17 juin 2018, pour dénoncer ce coup de force et leur appartenance au RHDP unifié. Ouattara juge ce refus « inacceptable ». Un juge, saisi par un membre du Bureau politique du PDCI-RDA, annule les décisions de ce Bureau Politique. En appel, un autre juge déclare la Justice incompétente dans l’affaire.
La presse fait état d’intimidations sur les cadres et ministres PDCI pour choisir entre RHDP unifié et PDCI-RDA. Certains se déclarent candidats PDCI-RDA aux élections locales pour devenir, les jours qui suivent, candidats RHDP unifié ou les deux en même temps, c’est-à-dire candidats PDCI-RDA- RHDP unifié. Ça frise le ridicule, mais, ça persiste. Des candidats RHDP utilisent le logo du PDCI-RDA, avec la complicité de la Commission Electorale Indépendante ( ?), l’organe en charge des élections. Le PDCI- RDA porte plainte. La Justice se déclare incompétente.
Un autre Bureau Politique se réunit, et ses décisions sont à nouveau attaquées en Justice. On menace de mettre le PDCI –RDA sous administration provisoire et ses biens sous séquestre. Bédié, d’ordinaire excessivement tolérant et peu bavard, n’en peut plus. Il met en garde ceux qui veulent provoquer la chienlit. Et Jeune Afrique le traite de va- en –guerre.
Alors question : Bédié est –il aussi va-en-guerre que Ouattara qui est arrivé au pouvoir en Côte d’Ivoire, en 2010, après :
-un coup d’Etat (souvenez-vous de sa propre phrase « je frapperai ce pouvoir moribond », quelque mois seulement avant le coup d’Etat de 1999) ;
-une rébellion qui déclencha la première guerre civile en 2002 (Ouattara paiera, en 2017, avec l’argent public, 12.000.000 CFA par tête, 600 de ses ex-mercenaires de la rébellion) ;
-une seconde guerre civile en 2010,, à la suite de la crise postélectorale qui a fait, officiellement, 3.000 morts.
Autre question : Bédié a-t-il sur sa conscience la mort d’un seul ivoirien ? Zéro. N’a-t-il pas refusé de faire massacrer des militaires mutins pour conserver le pouvoir dans le processus de coup d’Etat contre lui en 1999 ?
Il serait peut-être, plus correct de la part de Jeune Afrique, de faire son travail de communication pour Ouattara,sans chercher à noircir gratuitement, sans raison ni preuve, Bédié, la victime de tous les actes antidémocratiques qui, depuis 1993, ont déstabilisé et ramené la Côte d’Ivoire, trente ans en arrière : tentative de coup d’Etat constitutionnel à la mort du président Houphouët en 1993, boycott actif et assassinats de militants PDCI-RDA, par le front Républicains ( RDR de Ouattara et FPI de Gbabo) en 1995 ; coup d’Etat contre Bédié de 1999 ; rejet de la candidature de Bédé aux présidentielles de 2000 ; vol des voix de 600.000 voix de Bédié aux présidentielles de 2010 ; les deux terribles guerres de 2002 et 2010 dont tous les ivoiriens ont souffert.Point n’est besoin d’inventer quoi que ce soit. Ces évènements successifs depuis la mort du Président Houphouët, en 1993, sont suffisamment douloureux et parlants.
Si Jeune Afrique a la mémoire courte, les ivoiriens eux, se souviennent de ces évènements douloureux qu’ils ont vécus cruellement, dans leur chair et âme.Les banaliser en traitant Bédié de va-en-guerre, est une injure intolérable que les ivoiriens, dans leur très large majorité, ne sauraient accepter plus longtemps.
Dr Bessélimi, professeur de Science Politique aux Etats-Unis