Le Cardinal Kutwa aux Ivoiriens: «La sagesse qui vient de Dieu est droiture, paix, tolérance, compréhension… d’où viennent les guerres?»
Le cardinal Jean Pierre Kutwa livré un message fort, à la prière pour la paix organisée par les jeunes et les femmes du diocèse d’Abidjan, ce samedi 15 février 2020. Ci-dessous son discours intégral.
Révérendes sœurs, Chers aumôniers jeunes, Chères femmes de l’AFEC, Chers amis jeunes et vous tous qui avez répondu à notre appel, Parce que la paix n’est jamais chose acquise une fois pour toutes, mais sans cesse à construire, je voudrais en tant que premier pasteur de notre Église diocésaine d’Abidjan, saluer et féliciter l’initiative des jeunes réunis au sein de l’Office Diocésain de la Pastorale des Jeunes d’Abidjan (ODPJA) appuyée par l’Association des Femmes de l’Eglise Catholique (AFEC) et qui nous vaut le rassemblement de ce jour.
Cette initiative est heureuse d’autant plus dans les différents messages que je leur adresse, je n’ai de cesse de les appeler à prendre toute la place qui est la leur dans la marche de notre Eglise et celle de notre pays à tous, la Côte d’Ivoire!
Pour rappel, le dimanche 22 mars 2015, à l’occasion du premier pèlerinage diocésain des jeunes, pèlerinage qui avait vu la participation de quelques vingt-cinq mille jeunes, j’avais esquissé les traits de cette jeunesse et je cite :
La jeunesse à laquelle j’aspire pour notre Archidiocèse et pour notre pays, c’est celle qui cherche à éduquer son esprit pour l’arracher à ses obsessions, aux idées reçues et l’ouvrir à la nouveauté… Je vous exhorte [donc] à exercer votre regard, celui qui dépasse l’écran des masques et des apparences… Désormais, il vous faut marcher à un autre rythme, à changer de style, à faire le ménage en vous et autour de vous, pour regarder les autres et découvrir le visage de Dieu…
Je vous invite à vous laisser transfigurer par l’Evangile, pour vous rapprocher chaque jour davantage de Dieu… Ce que le Seigneur attend de vous, c’est que vous puissiez lui offrir ce que lui-même vous a donné et qui est unique, c’est-à-dire votre propre vie. C’est alors que vous pourriez répondre à votre vocation profonde dans l’Eglise, dans notre pays et dans le monde!’’ Pour répondre à votre vocation profonde dans l’Eglise, vous vous êtes retrouvés trois années plus tard, soit le Dimanche 4 mars 2018, à l’occasion de votre deuxième pèlerinage diocésain, au stade Félix HOUPHOUET BOIGNY.
De mémoire de catholique, on avait rarement vu pareille mobilisation : un peu plus de trente-cinq mille jeunes venus célébrer dans un même élan, le Prince de la Paix, Jésus-Christ ! Ce jour-là aussi, je vous avais invité à quitter les compromis de toutes sortes qui finissent en compromissions et à oser dire non à tout ce qui ne participe pas à votre épanouissement. J’avais fait remarquer aussi que ‘‘le cadre du ‘‘Félicia’’ dans lequel vous vous êtes retrouvés est porteur de signes.
L’un de ces signes qu’il m’a plu de relever, c’est la diversité des supporteurs qui, le temps que dure une rencontre, sont habités par un même esprit, une même passion, un même but, en espérant que leur équipe sorte victorieuse de toutes les confrontations qu’elle dispute en ce lieu. Dans la même veine, je vous avais exhorté à vous laisser habiter par un même esprit, Celui de Jésus-Christ qui est toujours présent là où deux ou trois sont réunis en son nom ; à avoir une même passion, celle de votre Église, l’Eglise de Jésus-Christ, dont vous devriez chaque jour davantage vous montrer dignes !
AMIS JEUNES,
La jeunesse à laquelle j’aspire, celle aux côtés de qui je me tiendrai toujours debout, celle qui est l’objet de mes prières, elle est là aujourd’hui devant moi, dans la cour de cette cathédrale dédiée à Saint Paul l’Apôtre des Nations ! Cette jeunesse, c’est celle qui consciente que le Christ est notre Paix, est venue le supplier de nous donner Lui-même sa paix ! Entourés des femmes de l’AFEC ainsi que des hommes de bonne volonté, j’ai envie de crier : amis jeunes, vous êtes FORMIDABLES !
A voir votre nombre et votre détermination je suis plus que convaincu qu’ensemble, avec la grâce de Dieu, nous ferons des prouesses, et notre pays s’en trouvera meilleur, pour la gloire de Dieu et pour le bonheur de tous les habitants de ce pays ! Frères et sœurs, Ces prouesses que nous pouvons mais surtout que nous devons faire ensemble présupposent pour nous, que nous puissions non seulement déceler les dangers qui mettent à mal notre cohésion sociale et notre vivre-ensemble.
Mais également, que nous prenions tous ensemble, courageusement et fermement, l’engagement de mettre un frein à l’inhumanité des guerres qui se profilent partout de manière insidieuse et subversive, pour ne pas parler de guerres larvées et qui trainent en longueur !
1- D’OÙ VIENNENT LES GUERRES ? D’OÙ VIENNENT LES CONFLITS ENTRE VOUS ?
Révérends pères, Chers amis, Dans la première lecture de ce jour, Saint Jacques nous enseigne que nous réclamons sans cesse la paix, mais à notre profit. C’est pourquoi nous continuons de faire la guerre, tout en accusant les autres. Nous mettant nous-mêmes au centre du monde, nous ne pouvons supporter les autres. Ecoutons-le : ‘‘ d’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas de tous ces instincts qui mènent leur combat en vous-mêmes ?
Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre.’’ Vous aurez remarqué que le texte de la première lecture multiplie les oppositions. Ici, jalousie et rivalités sont à comprendre par contraste avec paix, tolérance et compréhension. Par ailleurs, la jalousie peut aussi évoquer le fanatisme des idées !
Comme vous le savez certainement, la jalousie et les rivalités peuvent être toutes à la fois aussi bien d’ordre matériel que spirituel. La question de fond que nous devons pouvoir nous poser est à mon sens celle-ci : quand donc les hommes pourront-ils accepter la sagesse de Dieu, celle qui transforme les cœurs et qui rend possible la vraie paix ? En effet, et comme le dit Saint Jacques dans cette lecture, ‘‘la sagesse qui vient de Dieu est droiture et par suite est paix, tolérance, compréhension ; elle est pleine de miséricorde et féconde en bienfaits, sans partialité et sans hypocrisie’’.
C’est donc notre intérêt de comprendre que ‘‘c’est dans la paix qu’est semée la justice qui donne son fruit aux artisans de paix !’’ Il nous faut donc veiller sur les sentiments de nos cœurs. Et au lieu de nous plaindre des autres, si nous prenions individuellement, personnellement l’engagement d’être meilleur, cela fera de nous un artisan de paix en plus, parce que les conséquences de la guerre sont incalculables !
2- LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE RÉVÉRENDS PÈRES, CHERS AMIS,
Avons-nous conscience que la vie des hommes est entièrement dans la Main de Dieu ? De même qu’Il nous crée sans demander notre avis, de cette même façon notre vie nous est retirée quand Il le veut. La maladie, la vieillesse, les catastrophes naturelles et autres épidémies sont là chaque jour, de par le monde, pour nous rappeler la fragilité de la vie sans que personne ne songe à en rajouter, à ôter la vie de son frère.
Dans l’évangile de ce jour qui nous raconte le massacre des innocents ainsi que le nouvel exode imposé par Hérode à Jésus, Marie et Joseph, on peut y voir en filigrane que ce sont presque toujours les innocents qui payent un lourd tribut à la guerre ! Ainsi, la venue dans notre monde du Prince de la paix contraste avec l’abominable décret du roi Hérode : sa vie est mise en danger et voilà que ce sont de pauvres innocents qui vont mourir.
Il en est ainsi de toute guerre ! Ici, c’est à dessein que je passe sous silence les pertes en termes de biens matériels, non pas qu’elles ne soient pas importantes ! Mais dites-moi, comment peut-on réparer les séquelles causées au niveau moral, physique et même psychologique ? Le souvenir de la dernière crise que notre pays a connue est encore assez vif dans le cœur et les esprits de certains de nos concitoyens.
En vérité, qui peut oser dire que cette crise n’a eu aucun incident directement ou indirectement sur lui ? Et ce sont justement les conséquences de toutes les crises qui fondent la prière qui doit soutenir notre engagement.
3- LA PRIÈRE EST LA FORCE QUI DOIT SOUTENIR NOTRE ENGAGEMENT.
Chers amis jeunes, En décidant de ce temps de prière pour la paix, vous vous engagez ainsi sur une voie noble et je vous en félicite. Désormais, vous avez une très grande responsabilité dans la marche de notre pays. Si la prière est la force qui doit soutenir tout engagement à la paix, elle ne vous dédouane pas d’agir. Dans son Exhortation Apostolique Christus Vivit, n° 169 le pape François vous indique le chemin à suivre et je cite :
‘’Je propose aux jeunes d’aller au-delà des groupes d’amis et de construire l’«amitié sociale, chercher le bien commun. L’inimitié sociale détruit. Et l’inimitié détruit une famille. L’inimitié détruit un pays. L’inimitié détruit le monde. Et l’inimitié la plus grande, c’est la guerre. Et aujourd’hui, nous voyons que le monde est en train d’être détruit par la guerre, parce qu’ils sont incapables de s’asseoir et de se parler […] Soyez capables de créer l’amitié sociale ».
Ce n’est pas facile. Il faut toujours renoncer à quelque chose, il faut négocier, mais si nous le faisons en pensant au bien de tous, nous pourrons réaliser la magnifique expérience de laisser de côté les différences pour lutter ensemble pour une chose commune. Oui, essayons de chercher les points de coïncidence parmi les nombreuses dissensions, dans cet effort artisanal parfois coûteux de jeter des ponts, de construire une paix qui soit bonne pour tous ; cela c’est le miracle de la culture de la rencontre que les jeunes peuvent oser vivre avec passion.’’ Fin de citation.
Et le Saint Père de poursuivre au numéro 174 de la même Exhortation : ‘‘Je veux t’inciter à cet engagement, parce que je sais que « ton cœur, cœur jeune, veut construire un monde meilleur. Je suis les nouvelles du monde et je vois que de nombreux jeunes, [dans plusieurs] parties du monde, sont sortis sur les routes pour exprimer le désir d’une civilisation plus juste et fraternelle. Les jeunes sur les routes.
Ce sont des jeunes qui veulent être protagonistes du changement. S’il vous plaît, ne laissez pas les autres être protagonistes du changement ! Vous, vous êtes ceux qui ont l’avenir ! Par vous l’avenir entre dans le monde. Je vous demande aussi d’être protagonistes de ce changement. Continuez à vaincre l’apathie, en donnant une réponse chrétienne aux inquiétudes sociales et politiques, présentes dans diverses parties du monde.
Je vous demande d’être constructeurs du monde, de vous mettre au travail pour un monde meilleur. Chers jeunes, s’il vous plaît, ne regardez pas la vie “du balcon”, mettez-vous en elle, Jésus n’est pas resté au balcon, il s’est immergé ; ne regardez pas la vie “du balcon”, immergez-vous en elle comme l’a fait Jésus » Fin de citation. Amis jeunes, C’est également ce même appel que je voudrais vous adresser en vous envoyant sur les routes de vos quartiers, à l’école, à l’université, dans vos différents milieux de vie !
Ici encore, je voudrais reprendre les paroles du Pape : ‘‘ chers jeunes, je serai heureux en vous voyant courir plus vite qu’en vous voyant lents et peureux. Courez, « attirés par ce Visage tant aimé, que nous adorons dans la sainte Eucharistie et que nous reconnaissons dans la chair de notre frère qui souffre. Que l’Esprit Saint vous pousse dans cette course en avant. L’Eglise a besoin de votre élan, de vos intuitions, de votre foi.
Nous en avons besoin!’’ Christus Vivit n° 299. Chers femmes de l’AFEC, L’évangile de ce jour se termine sur une note apparemment triste: ‘‘un cri s’élève dans Rama, des pleurs et une longue plainte : C’est Rachel qui pleure ses enfants, et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus.’’ Voici le danger vers lequel nous courons si nous n’avons pas la paix. Tout en vous félicitant d’avoir accompagné nos jeunes, vos enfants, je vous engage à veiller dans la prière et par des actions concrètes dont je prie Dieu de vous inspirer, pour nous éviter une autre crise postélectorale.
Rachel qui pleure ses enfants et qui refuse d’être consolée, c’est vous femmes de Côte d’Ivoire. Rachel qui pleure ses enfants et qui refuse d’être consolée c’est la Côte d’Ivoire notre mère patrie qui a vu verser et couler le sang innocent de ses enfants. L’adage dit que ce que femme veut, Dieu veut! Femmes de l’AFEC, femmes de Côte d’Ivoire, debout et désirez la paix pour nous ! Et Dieu nous l’accordera ; posez des actes en faveur de la paix et vos fils, avenir de notre pays, vous le revaudront. Priez pour la paix avec votre cœur de femme, de mère, et Dieu fera en sorte qu’elle advienne.
Enfin, ayez le courage prophétique de vous dresser dès aujourd’hui contre les germes de guerre en vous parlant, en parlant à vos époux, à vos enfants et vous serez comme les saintes femmes de l’évangile qui accompagnaient le Christ! Accompagnez donc notre marche vers la paix! Ce serait un merveilleux cadeau que vous nous offrirez ainsi et je vous en sais capables!
Que Dieu lui-même bénisse et soutienne toutes vos démarches et actions en faveur de la paix! Révérends Pères, Frères et sœurs, De même que Dieu ne désespère d’aucun homme, de même, ma foi au Christ me fait croire que si nous nous épuisons dans la prière, en famille, en CEB, dans les doyennés et dans les vicariats, au travail, et que nous décidons de nous engager pour la paix en action, Dieu nous fera le don de la Paix, de sa Paix !
Aussi, voudrais-je vous inviter tous à faire de cette prière de saint François, votre leitmotiv désormais: Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix… Là où est la haine, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette l’amour. Là où est l’offense, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette le pardon. Là où est la discorde, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette l’union.
Là où est l’erreur, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette la vérité. Là où est le doute, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette la foi. Là où est le désespoir, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette l’espérance. Là où sont les ténèbres, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette la lumière. Là où est la tristesse, fais de moi un instrument de ta paix, pour que je mette la joie.
Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix : que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer. Car c’est en se donnant qu’on reçoit et qu’on devient un instrument de ta paix ; c’est en s’oubliant qu’on se retrouve, pour devenir un instrument de ta paix ; c’est en pardonnant qu’on est pardonné, pour devenir un instrument de ta paix ; c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie !» Seigneur, fais de nous des instruments de ta paix. Plaise à Dieu de récompenser nos efforts de paix en nous rendant inventifs dans la recherche de la paix, pour sa plus grande gloire par Jésus, le Prince de la Paix, qui vit et règne, pour les siècles sans fin, AMEN !
Jean Pierre Cardinal Kutwa