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INTERVIEW/ ABDERRAHMANE  SISSAKO ( JURY FESPACO )
: «Il faut que le cinéma soit un vecteur pour le politique »

Au Burkina Faso, le Fespaco 2021 a refermé ses portes ce samedi 23 octobre à Ouagadougou. C’était la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision. Le grand prix, l’étalon d’or de Yennenga, a été attribué au réalisateur somalien Ahmed Khadar pour son film « La femme du fossoyeur ». Malgré les risques (pandémie de Covid-19, questions de sécurité, …), le Fespaco s’est bien déroulé. Le cinéaste et producteur mauritanien Abderrahmane Sissako, président du jury dans la catégorie Long métrage, est l’invité de Guillaume Thibault, notre envoyé spécial au Burkina Faso.

RFI: Pourquoi ce film vous a tant marqué, pourquoi La femme du fossoyeur a gagné le grand prix du Fespaco 2021 ?

 Abderrahmane Sissako : La Femme du fossoyeur raconte certes une souffrance de gens démunis, ce sont les fossoyeurs, qui attendent que quelqu’un meurt pour gagner un peu. C’est dramatique. Mais, ce sont des gens dignes qui ont une force et une honnêteté.  Et La Femme du fossoyeur c’est l’histoire d’une femme malade qui va mourir et son mari qui se bat, qui se bat pour elle, pour l’amour et le film a touché le jury. Tout cela est raconté avec une grande simplicité, mais avec une grande beauté. Ce film est joué par des gens qui ne sont pas des acteurs. Cela a été quelque chose d’important et d’extraordinaire.

Malheureusement, le réalisateur du film Ahmed Khadar n’était pas présent à Ouagadougou. Est-ce que vous le connaissez un petit peu, est-ce que vous pouvez nous le présenter ?

A.S. : Non, malheureusement. C’est son premier film et c’est quelqu’un que je ne connais pas et que je ne connaissais pas. J’ai découvert son travail et c’est quelqu’un de très talentueux et j’ai vu qu’il a la passion du métier. Il a une forme de maîtrise, parce qu’un premier film aussi touchant et aussi émouvant, c’est très rare. Je serais très ravi de le rencontrer.

 On est dans « quelque chose d’exceptionnel » justement ?

A.S. : Oui. Et dans la force des films, la force. D’abord, il faut savoir que le comité de sélection a visionné plus de 1 000 films. C’est énorme, il y a aussi les films de la diaspora. L’Etalon d’argent est un film porté par l’haïtienne Gessica Généus, Freda est un film magnifique, digne aussi. Tous les films ont ce côté de la souffrance racontée dignement. C’est quelque chose que j’ai beaucoup ressenti.

 On peut l’évoquer, on en avait parlé avant quand on était dans le secret justement de vos délibérations, et vous me nous disiez, on a eu entre membres du jury des discussions magnifiques, justement parce qu’il y avait de la qualité et qu’il y avait des belles choses…

A.S. : Parce que la beauté d’un palmarès vient d’une forme de cohésion d’un jury. Moi, j’ai eu la chance de travailler avec 6 autres personnes. Nous étions 7. Des gens qui ne viennent pas toujours du cinéma. Et quand on prend quelqu’un comme A’Salfo, Salif Traoré, le leader du groupe musical Magic System, qui est la fierté du continent africain, un des plus grands musiciens de notre continent, mais qui a une sensibilité extraordinaire. J’ai été surpris du regard qu’il porte sur les histoires. C’est quelque chose qui m’a beaucoup touché. Travailler avec une femme, une grande chorégraphe, Germaine Acogny, danseuse, qui a une grande sensibilité. Trois femmes dans le jury, c’est bien aussi. C’est l’air du temps, les femmes prennent leur place, ne cherchent plus à ce que l’on leur donne une place. Elles s’imposent par leur aura, elles s’imposent par le travail. Et donc, quand on discute avec tant de personnes magnifiques, c’est d’abord passionnant de le faire, la délibération devient plus simple, le palmarès, à mon avis, plus juste.

 Vous parlez toujours des autres. Vous, c’est une fierté d’avoir porté ce Fespaco jusqu’au bout ?

A.S. : C’était important pour moi d’accepter de présider ce jury malgré la situation sécuritaire difficile ici au Burkina en particulier, et au Mali aussi. C’est un moment important pour défier, accompagner ce peuple burkinabè, pour le soutenir dans le choix d’honorer le cinéma, coûte que coûte, malgré la pandémie, malgré l’insécurité. Le Burkina a fait ce travail. Donc, c’est très important pour un cinéaste de venir et de défendre, et de ne pas avoir peur. Je dis, je suis honoré d’avoir été choisi pour cela et je suis fier que le peuple burkinabè a tenu de façon extraordinaire. De plus en plus, on nous isole en parlant de la peur. Lorsqu’on défie la peur de cette façon et qu’on vient, tous ceux qui sont venus sont pour moi des gens courageux. Ils viennent de plusieurs pays d’Afrique, mais d’Europe aussi. Et ça, c’est courageux lorsqu’on est capable de se positionner de cette façon.

 C’est un sacré beau message d’espoir collectif que vous avez su créer justement avec cette diversité. Cela annonce peut-être des jours meilleurs et cela donne de l’espoir ?

 A.S. : Il faut véritablement que l’art, le cinéma soit un vecteur important pour le politique et il faut que le politique soit de plus en plus conscient. Et je crois que c’est ce qui se fait lorsque deux présidents assistent et donnent l’Etalon d’or.

Source : RFI

 

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