L’ancien Député RDR et officier militaire de l’armée ivoirienne à la retraite, Oulatta Gaho dit pierre, est l’auteur d’un essai politique, « l’Afrique noire victime de ses péchés». Un livre de 290 pages édité par l’Harmattan Côte d’Ivoire, dans lequel l’homme politique milite pour une Afrique qui doit être réaliste. Entretien.
Monsieur Oulatta Gaho dit Pierre, votre ouvrage s’intitule « L’Afrique noire victime de ses péchés ». A partir de quel constat déduisez-vous que l’Afrique noire a des péchés ?
Oulatta Gao : J’ai toujours été préoccupé par le visage hideux que présente l’Afrique noire sur tous les plans, et profondément attristé par la précarité ambiante qui noie ses populations. Dès lors j’ai dû prendre de la hauteur, sortir de mes émotions et sentiments révoltés pour mieux porter un regard détaché, critique, sur la marche de notre continent en parallèle avec l’évolution du monde qui nous entoure, de l’Antiquité à nos jours. J’en suis venu à l’affligeante conclusion que les 400 ans d’esclavage transatlantique et oriental, les 100 ans de colonisation et ce que les panafricanistes dénoncent depuis nos indépendances jusqu’à ce début de 21eme siècle, comme étant un néocolonialisme au contrôle de nos États souverains, ne sont que les douloureux salaires de nos faiblesses civilisationnelles, de nos turpitudes comportementales, et de nos cadres et pratiques de gouvernance opposés à la quête du progrès que nous propose ce monde globalisé d’aujourd’hui.
Dans votre livre, vous semblez présenter l’Afrique noire comme un continent qui a raté le train de l’histoire et de la civilisation universelle ? Pourquoi ?
O.G : C’est un constat, certes cruel mais qui se justifie par le fait historique constant que l’Afrique noire a été, soit aphone soit dominée tout au long de l’Histoire de l’Humanité. Cela se traduit aujourd’hui par le retard scandaleux de ses États quant à prendre le train de l’émergence.
Vous écrivez à la quatrième de couverture de votre œuvre : « L’Afrique noire a chuté aux grands tournants de l’histoire, beaucoup plus à cause de la nature de ses civilisations que du fait de ses envahisseurs successifs, arabo-musulmans et européens ». Doit-on comprendre que les civilisations et traditions africaines sont toutes négatives ?
O.G : Le regard sur nos civilisations et traditions doit être comparatif par souci d’objectivité. Tant qu’elles seront perçues à l’aune exclusive de l’entendement africain, elles seront toujours bien quottées. Mais dès lors qu’elles sont confrontées à celles qui se sont imposées à nous, leur valeur s’effrite. À preuve, dominées par la sorcellerie et animées par tant d’autres considérations surnaturelles complexes, elles ne nous ont été d’aucune aide face aux différents assaillants du continent, du 15ème au milieu du 20 ème siècle. Nous avons été soumis par plus forts que nous. Et nous sommes toujours à la traîne malgré nos fétiches, devins, marabouts, nos esprits et génies, etc. Dès lors j’ai des doutes légitimes sur leur capacité à nous hisser au niveau des Pays développés que nous cherchons à atteindre.
Est-il pertinent de dédouaner les envahisseurs successifs de l’Afrique dans les problèmes que connaissent les Etats africains aujourd’hui ?
O.G : Il ne s’agit pas de blanchir ou condamner les envahisseurs, mais plutôt de comprendre leurs actions en les plaçant dans leur contexte. Cela, afin que les Africains sachent et intègrent une bonne fois. Que les occidentaux étaient et demeurent constants dans leur logique doctrinale: aller chercher partout où faire se peut, les diverses ressources nécessaires au progrès de leurs leurs Nations, à l’épanouissement de leurs peuples et à la puissance de leurs États. Ils sont à la recherche permanente de la satisfaction de leurs besoins, de leurs intérêts. C’est de bonne guerre. Quoi de plus normal voire légitime. Et ils sont prompts à défendre cette philosophie-là qui nourrit leurs valeurs. Autrement, les Africains doivent désormais et froidement, connaître, reconnaître et prendre en compte tous les modes d’action de tous ceux avec qui ils sont appelés à commencer. Ce qui était loin d’être le cas, sur les cinq siècles passés durant lesquels notre ignorance coupable nous a soumis jusqu’à ce jour au dictat des autres. Il le faut désormais! A nos futures générations, pour sécuriser toutes les conditions du bien-être et de l’épanouissement de l’Afrique.
Votre ouvrage parle énormément de changement de mentalités. A votre avis, comment les populations africaines devraient s’y prendre pour y parvenir ?
O.G : Il faut sortir désormais de l’émotionnel et de la susceptibilité et de l’invective propres à notre culture et nos réactions épidermiques face à la longue domination que l’Afrique noire a subie. Pour prendre en main notre destin, dans une attitude placide, rationnelle et méthodique après avoir froidement identifié nos intérêts et les voies et moyens stratégiques et tactiques, pour les atteindre sans coup férir. Que les générations d’aujourd’hui et de demain tournent désormais le dos à notre histoire‐que nous connaissons assez- qui nous humilie jusqu’à ce jour. Dans la solidarité (un de nos intérêts majeurs), affrontons notre destin pour relever nos immenses défis, dans ce monde où tout partenaire est de facto un adversaire.
Monsieur le Député, les problèmes que vous soulevez dans votre œuvre, est-ce l’affaire des pouvoirs africains, des opposants ou de la société civile du continent noir ?
O.G : C’est et ce doit être l’affaire de tous! Du Peuple souverain et de toutes ses émanations. Il s’agit en l’occurrence du cadre juridique et institutionnel sur lequel s’accordent toutes les forces vives d’une nation pour exister et vivre ensemble en tant qu’État sous la bannière du Système politique qu’elles se sont dotées. Généralement en Afrique noire, nous avons choisi, au sortir de la colonisation, La République démocratique, qui tire toute sa puissance de fonctionnement, d’une Loi, Fondamentale et Suprême, La Constitution. C’est d’elle que procède toute l’architecture de la Réglementation qui régit l’ensemble de tous les domaines de vie et d’activité d’un Pays donné. Mais dans les faits en Afrique noire, ni personne, ni les acteurs du privé, ni les tenants des Institutions et des pouvoirs publics, ne se résolvent encore et toujours à s’y soumettre avec plaisir. Cela crée un désordre ambiant, aggravé par ce système politique hérité du colonisateur, et qui concentre l’essentiel des prérogatives entre les mains de l’Exécutif aux détriments des autres Pouvoirs de l’Etat théoriquement supposés indépendants et en être le contrepoids, dans un souci d’équilibre qui fait la force principale de la Démocratie. Dès lors, se trouvent maintenus à la périphérie de la vie et de la gestion de son pays, le Peuple dont la Société Civile, pourtant Inspirateur et constituant majeur indiscutable de la Constitution. Notons qu’à l’entame du préambule de la Constitution, il est solennellement proclamé: « Nous Le Peuple « . À César ce qui est à César. Il urge en Afrique noire, de reformer profondément nos Constitutions pour restituer aux Peuples leur Pouvoir Souverain. Il faut donc sortir des régimes présidentiels trop forts qui rappellent plutôt la royauté ou l’autocratie, pour parvenir à une Démocratie véritable, condition impérieuse de la Bonne gouvernance et de l’état de Droit, pour éviter les crises sociopolitiques à n’en point finir, et pouvoir enfin aller résolument et en toute stabilité, à l’assaut de l’Émergence et du Développement.
En dernier ressort, vous présentez la démocratie comme le modèle politique de référence dont a besoin l’Afrique. Selon vous, pourquoi les Etats africains qui se disent démocratiques sont encore à la traine ?
O.G : Nos États sont toujours à la traîne parce qu’ils font du concept démocratique, une belle façade, trompeuse, pour faire bonne figure. Mais en réalité la Démocratie est encore une vue de l’esprit. Tant qu’il en sera ainsi, tant que l’Afrique noire ne tournera pas la page de sa conception traditionaliste du pouvoir, privilégiant le culte de la personnalité des Élites et de leurs clans, et reléguant ses peuples à la pauvreté et à l’indigence morale et matérielle pour mieux les soumettre, ses États à la traîne pour encore bien longtemps. Cette œuvre est un appel de vérité, en même temps de détresse et d’espérance, à l’adresse de toutes les générations africaines d’aujourd’hui et de demain, aux fins impératifs de tourner définitivement le dos aux vieux démons de notre histoire atrocement perturbée, de réorganiser les cadres structurels de nos États et leurs modes de fonctionnement, en toute connaissance de cause et en adéquation avec les nouvelles missions et les comportements nouveaux qu’exigent de nous, nos aspirations légitimes à rattraper notre retard. Pour nous hisser enfin au rang des Pays émergents, respectables et respectés à travers le monde de ce 21ème siècle.
Vous êtes un officier supérieur de l’armée ivoirienne à la retraite, vous avez été député de la Nation, donc un homme politique, et vous vous présentez aujourd’hui comme un éclaireur dans la société africaine. Laquelle des trois personnalités vous sied aujourd’hui ?
O.G : Je me veux le produit craché de toutes ces belles et exaltantes expériences, pertinemment formatrices, par lesquelles, y compris la fonction de Chef de Village que je suis aujourd’hui, Dieu Tout-Puissant a formaté ma personnalité actuelle, pour le servir au mieux, auprès et dans l’intérêt de ses Peuples en souffrance en Afrique noire.
Interview réalisée par André SELFOUR