Côte d’Ivoire-Abel Doualy prévient Ouattara et le Rhdp : «Chacun attend de voir jusqu’où ira ce régime dans sa volonté de braver l’opinion publique nationale et internationale»
Dans la déontologie journalistique, le train qui entre en gare à l’heure n’est pas un événement. C’est le train qui arrive en retard qui intéresse. Juste pour dire que lorsque tout va bien, le journaliste n’en a cure.
C’est quand il y a des couacs que le journaliste se sent interpellé. Non pas qu’il soit un oiseau de mauvais augure qui n’annonce que les mauvaises nouvelles. Mais parce que dans la déontologie journalistique, un acteur qui agit bien n’a pas besoin de satisfecit particulier. Il a été désigné au poste où il se trouve pour bien agir. C’est lorsqu’il se détourne de la voie sur laquelle il est attendu qu’il se fait interpeller par le journaliste.
Aujourd’hui, nous avons décidé de nous intéresser, non pas au train qui est en retard. Mais à celui qui arrive à l’heure à la gare. C’est le sens de l’hommage que nous rendons dans cette analyse aux deux anciens chefs d’Etat ivoiriens Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Qui se sont rencontrés, hier, à Bruxelles, capitale de la Belgique. Deux leaders politiques qui se sont toujours battus et sacrifiés pour la paix en Côte d’Ivoire.
Qui ne se souvient, en effet, de la posture de Bédié en 1999 lorsque, victime d’un coup d’Etat, il a demandé que ne soit versée aucune goutte de sang d’Ivoiriens à cause de lui ? Il a préféré se rendre en exil. Purement et simplement. Qui ne se souvient, en outre, des efforts de Gbagbo quand la Côte d’Ivoire, sous son règne, a été attaquée par une rébellion armée le 19 septembre 2002 ? Il a loyalement composé avec les rebelles dans le seul but de faire revenir la paix dans son pays. C’est ce qui a donné, en 2007, l’Accord politique de Ouagadougou (APO), grâce auquel des élections ont pu être organisées en 2010 en Côte d’Ivoire.
D’où cet hommage aux deux hommes ? Parce que de mémoire de journaliste, c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat et son successeur (en exil) se retrouvent pour parler de l’avenir de leur pays et surtout de la réconciliation nationale. Et ce, non pas dans le cadre de négociations bi ou tripartites au cours desquelles chacun demeure dans sa chapelle face à l’autre. Hier, les deux hommes étaient unis main dans la main dans un même élan de réconciliation et de retrouvailles post-crise. On parlera de la rencontre de deux adeptes de la paix au chevet de leur pays malade.
Du Front républicain au RHDP
Généralement, deux anciens dirigeants d’un même pays, de surcroît de bords différents, demeurent dans une logique de revanche au point de ne plus jamais se rapprocher. Mais la Côte d’Ivoire étant connue pour être un pays d’exceptions, cette autre exception ivoirienne a voulu que les deux anciens présidents, hier, farouches opposants, se mettent aujourd’hui ensemble au chevet de leur pays qu’ils trouvent en nette régression sur divers plans.
Et cela, après l’échec du groupement RHDP auquel appartenait le PDCI-RDA depuis 2005 avec le RDR et d’autres partis contre Laurent Gbagbo. Tout comme le FPI de Gbagbo et le RDR d’Alassane Ouattara étaient tous les deux membres du Front républicain contre le régime Bédié de 1995 au coup d’Etat du 24 décembre 1999. Tous les deux (Gbagbo et Bédié) floués à tour de rôle par leur même allié RDR, ils ont décidé aujourd’hui de s’unir pour la paix en Côte d’Ivoire. Rien d’incongru ni de contre-nature en cela !
Dans la note conjointe publiée au terme de leur rencontre d’hier à Bruxelles, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ont « déploré les atteintes aux acquis démocratiques », souhaitant que « l’autonomie de fonctionnement des partis soit respectée ». De même, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo se sont réjouis de cette rencontre. M Gbagbo s’est dit « heureux et fier de cette visite » quand son aîné Bédié s’est, quant à lui, « particulièrement réjoui de l’acquittement de son hôte ».
C’est le lieu de rappeler que, déporté à la Cour pénale internationale (CPI) par le régime Ouattara en novembre 2011 à la suite d’une crise postélectorale qui a fait officiellement 3000 morts, Laurent Gbagbo a été acquitté en première instance en janvier dernier. Il se trouve en Appel sur requête de la procureure Fatou Bensouda. En attendant le dénouement de cet Appel, et dans la perspective d’un retour en Côte d’Ivoire souhaité par de nombreux Ivoiriens, l’ex-chef d’Etat et son parti se sont résolument tournés vers la lutte pour une réconciliation vraie entre les Ivoiriens.
La lutte pour la réconciliation menée par le FPI et le PDCI-RDA
Cette lutte est également au centre des préoccupations du président Henri Konan Bédié et son parti le PDCI-RDA qui multiplient les opportunités pour y parvenir. D’où son appel pour la mise en place d’une « plateforme non idéologique » qui est prise d’assaut par plus d’une vingtaine de partis politiques et de mouvements de la société civile. Face à cette dynamique sociopolitique, de tous ceux pour qui la gouvernance du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) fait plus de mal que de bien à la Côte d’Ivoire, l’on constate que les tenants du pouvoir s’enchevêtrent dans la radicalité et la violence avec des atteintes répétées aux libertés que l’opposition ne cesse de dénoncer.
Les récentes interpellations du président de la JPDCI urbaine, Innocent Kouassi, et du Pr Bamba Moriféré, une des figures de proue de l’opposition, ne font que corroborer cette thèse de la radicalisation du pouvoir Ouattara à moins d’un an et demi de la présidentielle du 31 octobre 2020. Samedi dernier, un meeting dit d’hommage au président de la République s’est tenu à Ferkessédougou, ville natale de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro.
Les différents discours tenus ont laissé apparaître qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une cérémonie visant à mettre en garde ce dernier contre sa volonté de se porter candidat à la prochaine présidentielle. « Parlez à vos enfants », a dit le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly sur un ton martial et hargneux comme si pour être candidat à un poste électif ou autre, il fallait demander son autorisation préalable. Il va même plus loin en comparant les ambitions des uns et des autres à des tentatives de subversion. « Sachons garder raison. Chacun doit contenir ses ambitions dans les limites du tolérable et du raisonnable. Aucune manœuvre visant à installer le désordre dans ce pays ne sera tolérée » (sic !).
Bédié et Gbagbo pour la réforme de la CEI
Soro Guillaume, quoique jeune (la quarantaine révolue tout de même), a été le Premier ministre ayant organisé les élections qui se sont soldées en 2010 par l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara. Il était au-dessus d’Amadou Gon et de plusieurs cadres du RDR qui le vilipendent aujourd’hui. Il était, jusqu’à sa démission du fauteuil de président de l’Assemblée nationale, sous la pression du régime, le numéro trois de la République et Amadou Gon était sous son autorité dans le strict cadre des règles de fonctionnement de la République.
D’où vient donc que l’on tient à le présenter comme celui qui n’obéit pas à l’ordre établi mais qui veut tordre le cou à la discipline du groupe ? Pourtant le président Ouattara n’a de cesse de rappeler qu’il faut laisser la place aux jeunes générations. De quelles jeunes générations parle-t-il donc ? Forcément celles des Amadou Gon et Daniel Kablan Duncan ?
Une chose est certaine : la tentative de passage en force envisagée par le régime en place pendant les élections de 2020 n’échappe à personne. Chacun attend de voir jusqu’où ira ce régime dans sa volonté de braver l’opinion publique nationale et internationale. Et c’est à juste titre que « Gbagbo et Bédié ont appelé (à nouveau) le gouvernement à la réforme de la CEI», selon la note issue de leur rencontre d’hier (lundi 29 juillet). L’on se demande dans quelles oreilles cet autre appel tombera-t-il?
Abel Doualy