Stéphane Volant, le président du Club des directeurs de sécurité et de sûreté des entreprises, revient sur les défis qui touchent les opérateurs français en Afrique. Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du Monde Afrique depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du Monde Afrique.
Sécurité physique des employés et des installations, sécurité sanitaire alors que la crise du coronavirus ne cesse de s’internationaliser… Les questions de sûreté sont désormais au cœur des préoccupations des entrepreneurs installés en Afrique ou qui souhaitent s’y installer. Alors que doit se tenir à Abidjan, jeudi 19 mars, un colloque sur la sûreté comme vecteur de croissance pour les entreprises, Stéphane Volant, le président du Club des directeurs de sécurité et de sûreté des entreprises (CDSE), une association fondée il y a vingt-cinq ans et qui regroupe les principales sociétés françaises, s’inquiète des conséquences économiques du coronavirus et revient sur les défis qui touchent les opérateurs français sur le continent africain.
Comment les entreprises peuvent-elles faire face à cette crise du coronavirus ?
Je ne parle pas des aspects sanitaires, qui ne sont pas de mon domaine, mais il y a un vrai péril pour les entreprises, qui n’étaient pas préparées et s’adaptent au fil de l’eau. Cette crise affecte les circuits de production et de distribution. L’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] nous dit déjà que l’économie mondiale a perdu 0,5 % de croissance.
L’approvisionnement est en difficulté et la distribution devrait être en péril dans les jours qui viennent. Nous sommes déjà à un point de rupture, car les circuits d’approvisionnement venant d’Asie mettent 45 jours par cargo pour arriver jusqu’à l’Europe. La crise ayant commencé à peu près il y a 45 jours, les ports européens devraient donc désormais recevoir moins de cargos partis de Chine.
Cette situation implique pour les entreprises l’ouverture d’une salle de crise dans une situation complexe, car la crise est transverse. Les entreprises doivent se poser des questions de sécurité, juridiques sur l’assurance face à ce genre de dommages, de production et de ressources humaines car les salariés pourraient commencer à avoir peur d’aller travailler.
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La seconde difficulté est que c’est une crise de temps long dont on ne voit pas la fin. Personne ne peut prédire si celle-ci s’arrêtera dans une semaine, un mois ou trois. Personne ne peut donc prédire l’impact réel sur nos économies, d’autant que cette crise a une dimension internationale très marquée et que les réponses des pays sont très disparates.
En Chine, on verrouille des villes de plusieurs millions d’habitants ; à Singapour, chaque individu est ciblé et fait l’objet d’une bulle de sécurité ; en Italie, on restreint les déplacements ; en France, on considère que la vie doit conserver un semblant de normalité. Tout cela ajoute à la difficulté pour les grandes entreprises, qui doivent s’adapter de façon polymorphe à des règles en fonction de leur implantation sur un certain nombre de marchés. C’est très complexe.
Comment jugez-vous les réponses engagées sur le continent africain ?
L’Afrique a eu l’expérience récente de pandémies. Par exemple, à votre arrivée à Dakar, on vous prend la température depuis trois semaines, alors que le continent n’était pas encore concerné. Les pays africains sont prêts, car ils ont une certaine habitude de gestion des pandémies et, en même temps, ils sont très inquiets car leurs infrastructures ne sont pas au niveau des normes européennes. Enfin se pose la question de la fiabilité des statistiques : je ne sais pas quel est le niveau réel de contamination. Contrairement à la Chine qui a les moyens et des intérêts à cacher les vrais chiffres, on peut se poser la question de la qualité du recensement des malades dans les pays africains. Ont-ils tous été recensés ?
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Enfin, en Afrique comme en France, cette crise peut en cacher une autre. Car pendant le coronavirus, les problèmes du quotidien, comme le terrorisme et la délinquance, perdurent. Pendant qu’on traite cette crise, il faut aussi se préparer à en traiter une autre qui pourrait venir se surajouter. Pour les entreprises, il y a aujourd’hui une grande angoisse du surévénement.
Comment un certain nombre de pays africains pourront-ils continuer à s’approvisionner en biens de première nécessité quand des mesures de quatorzaine sont imposées ?
Le problème ne se pose pas que pour l’Afrique. En Occident, nous pouvons aussi manquer de produits de première nécessité. La grande majorité des produits de base des médicaments sont fabriqués en Chine. Que ferons-nous si nous ne les avons plus ? C’est un problème qui se pose à l’Afrique comme à l’Europe.
Aujourd’hui, où situez-vous les principaux dangers pour les entreprises françaises opérant en Afrique ?
La première des choses, c’est la méconnaissance du continent. A l’exception des entreprises historiquement présentes comme Total ou Bolloré, les sociétés ont encore l’image d’un continent qui n’a pas totalement émergé et soumis à des règles qui ne sont pas claires. Elles regardent donc l’Afrique comme une sorte d’eldorado difficile d’accès. Or il est clair qu’aujourd’hui l’Afrique est un marché, du fait que sa population est en nette augmentation et que les circuits financiers sont de plus en plus stabilisés.
La France intervient militairement au Sahel depuis sept ans, mais les entreprises françaises ont été jusque-là très peu visées par les organisations djihadistes. Comment l’expliquez-vous ?
Il est vrai que les intérêts français n’ont pas été visés, mais les groupes djihadistes frappent peu les emprises économiques, pour se concentrer sur les populations. Les pays membres du G5 Sahel [Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad] font probablement le job de protéger les entreprises françaises, qui elles-mêmes ont pris des mesures en organisant des formations pour leurs employés et utilisent des entreprises de sécurité privée dont je réclame d’ailleurs un meilleur encadrement. Nous demandons que les formations, l’encadrement et l’expertise des agents de sécurité travaillant à la protection d’intérêts français en Afrique fassent l’objet du même contrôle que leurs homologues opérant sur le territoire français.
Ne voyez-vous pas poindre le danger d’une privatisation de la sécurité en Afrique ?
Non, je n’y crois pas. Depuis vingt-cinq ans en France, les entreprises ont commencé à se doter de cette compétence, car l’Etat ne peut pas tout, mais elles ne sont compétentes que sur un petit marché de la sécurité. Je ne crois pas à la grande bascule qui pourrait plaire aux gouvernants, qui verraient ainsi diminuer leur budget sécuritaire.
Les Etats africains vont se désengager d’une partie de la sécurité qui peut être assumée par des privés. Ce mouvement mondial touche aussi l’Afrique, mais il y a un moment où l’entreprise dit « stop », car elle n’est pas compétente et cela ne fait pas partie de son objet social. Je ne crois pas aux milices armées dans les entreprises, à ce que l’Etat se décharge de pouvoirs régaliens aussi essentiels. Dans le cas contraire, ce serait le Far West et il y a fort à parier que nombre d’entreprises quitteront le continent africain faute de voir les Etats assurer leur protection.
Cyril Bensimon