Le Directeur des abattoirs et de l’hygiène alimentaire au niveau du District autonome d’Abidjan, Dr Dagnogo Komissiri, s’est confié à ‘’BETAIL D’AFRIQUE’’ dans sa parution du mois d’avril 2020, pour évoquer la maladie à Coronavirus. Chercheur au Laboratoire national d’Appui au Développement Agricole, Dr Dagnogo Komissiri est aussi le président de l’Ordre National des Vétérinaires de Côte d’Ivoire. Il évoque ici, sans faux fuyant, les mesures en vigueur au sein des abattoirs d’Abidjan pour lutter contre la propagation de la COVID-19, non sans évoquer ses inquiétudes. Interview.
Monsieur le Directeur, la maladie à Coronavirus serait né de la contamination de la viande de pangolin, certains ont parlé de Chauve-souris. Qu’en dites-vous en tant que vétérinaire ?
Dr Dagnogo Komissiri : Je pense que c’est une question qui revient ou bien ce sont des idées qui sont véhiculées. Effectivement, c’est une hypothèse qui a été émise parce que les virus qui ont été isolés chez la chauve-souris et le pangolin sont très proches. Donc, étant donné que le virus existe chez les chauves-souris et que la transmission directe des chauves- souris vers l’être humain ne s’était jamais faite, on a supposé que le virus a transité par le pangolin qui a servi d’intermédiaire avant d’arriver chez l’homme. Mais ce que nous souhaitons en tant que vétérinaire, c’est que, certes nous sommes dans la lutte, mais il serait très important qu’on puisse pousser plus loin les recherches afin qu’on puisse déterminer l’origine du mal, c’est-à-dire l’origine même de ce virus. Nous ne devons pas rester sur les hypothèses parce que le virus qui est isolé aujourd’hui chez l’homme est plus proche. C’est fort possible mais on ne peut pas dire présentement avec certitude que c’est cela.
Donc à l’heure actuelle, on ne peut pas dire vraiment d’où vient le virus qui est à l’origine de la COVID-19 ?
Dr D. K. : Il y a une forte adhésion pour l’hypothèse que nous avons évoquée plus haut, mais aujourd’hui on ne peut pas dire à 100/100 que c’est exactement le cas. Le Coronavirus n’est pas un nouveau virus pour nous les vétérinaires. Nous les connaissons, on sait qu’il y a des Coronavirus chez les animaux mais qui ne sont pas transmissibles à l’être humain. Quand vous prenez tous les éleveurs de volailles, lorsque vous discutez avec eux et qu’ils vous disent que nous avons une maladie respiratoire chez nous, c’est-à-dire dans les fermes au niveau des poulets, la maladie respiratoire dont il est question, la plupart du temps il s’agit de la bronchite infectieuse. Et l’agent pathogène responsable de cette infection-là n’est rien d’autre qu’un virus de la famille des Coronavirus. C’est un Coronavirus qui existe. Les Coronavirus existent chez les porcs, les bovins mais ce sont des agents qui sont spécifiques à ces animaux que j’ai cités, qui existent depuis des dizaines d’années mais qui ne passent pas chez l’être humain. Donc dans le monde vétérinaire, on connait ces virus.
Comment alors expliquer que la COVID-19, l’une des formes de Coronavirus, se répande si rapidement chez les hommes ?
Dr D. K. : Je pense que comme c’est récent, c’est depuis décembre 2019, il y a beaucoup de recherches qui doivent être encore faites pour pouvoir mieux connaître ce virus. De toutes les façons, les maladies virales on les connaît. Il n’y a pas de traitement, il faut un vaccin pour pouvoir se prémunir, que ce soit chez les animaux ou chez les hommes. Cependant, chaque fois qu’apparait un nouveau virus, il faut chercher à le connaître pour pouvoir mieux se défendre et mieux le détruire. Donc présentement, on attend encore beaucoup des chercheurs pour pouvoir mieux connaître le virus et savoir pourquoi il est aussi pathogène. Sinon dans le monde animal, les vétérinaires connaissent très bien les Coronavirus. Ils sont responsables de maladies virales qui arrivent : vous avez entendu parler de la grippe aviaire qui est aussi très contagieuse et qui se transmet très vite chez les animaux. Et là encore on sait que ce virus est pathogène, c’est une zoonose qui peut passer chez l’être humain.
Il ne faut donc pas prendre à la légère l’interdiction de la consommation de la viande de chasse ?
Dr D. K. : Le problème avec cette histoire de viande de chasse, il faut dire d’emblée que la chasse est interdite en Côte d’Ivoire et même si on ne respecte pas cette interdiction, il faut souligner que de façon réglementaire, la chasse est interdite. A partir de là, le problème ne devrait même pas se poser. J’évite d’interpréter pour ne pas qu’on ne dise pas après que c’est le président de l’Ordre des vétérinaires qui dit qu’on peut manger cette viande-là ou qu’on ne peut pas en consommer. Donc cette question me dérange mais ce qu’il faut savoir c’est que la chasse est interdite en Côte d’Ivoire, normalement, on ne doit pas chasser. Mais le problème de ces virus-là, on a vu par exemple le cas d’Ebola, ce sont des virus qui viennent probablement du monde animal. Mais qu’est-ce qu’on fait ? On en parle et après on oublie. Je pense que qu’elle que soit la viande qu’on a à notre disposition, il faut qu’elle soit manipulée dans de bonnes conditions d’hygiène et que lorsqu’on veut la consommer qu’elle soit bien cuite pour éviter tout problème.
Justement, pour stopper la propagation de la COVID 19, les autorités ivoiriennes ont pris de grandes mesures qui ont des incidences, comme sur les autres secteurs d’activité d’ailleurs, sur votre domaine. En tant que Directeur des abattoirs à Abidjan, quel est le point de la situation en termes de difficultés rencontrées au niveau des abattoirs ?
Dr D. K. : Il faut dire que la question est vaste mais la première difficulté, c’est déjà au niveau des acteurs. C’est-à-dire nous, je veux parler de l’administration, les inspecteurs, les producteurs, je veux parler des commerçants, des chevillards, des bouchers, je veux même parler des consommateurs qui viennent s’approvisionner en viande. Parce que quand vous avez l’habitude de vous côtoyer, de vous bousculer amicalement avec les poignées de mains et tout, et puis aujourd’hui on dit qu’il ne faut plus le faire, il faut moins de 50 personnes dans les espaces, il faut que vous soyez à un mêtre l’un de l’autre, j’avoue que ce n’est pas facile : c’est la première difficulté ! La deuxième difficulté que nous rencontrons, c’est de faire l’abattage dans de bonnes conditions d’hygiène parce que pour abattre un animal, il faut plusieurs personnes. Aujourd’hui, nous avons la chance à Abidjan, ce n’est pas le cas dans tous les abattoirs, d’avoir une chaîne d’abattage où les hommes peuvent travailler d’un poste à l’autre avec des distances de deux à trois mètres. Ça c’est une chance.
Que préconisez-vous pour les autres abattoirs qui ne disposent pas de cette technologie ?
Dr D. K. : Mais si les autres abattoirs n’ont pas cette possibilité d’avoir une chaîne telle que je viens de la décrire, et qu’on est quatre ou cinq à s’asseoir sur l’animal pour le faire tomber et l’immobiliser dans des conditions où c’est la force physique qui est demandée, vous voyez que cela peut être une condition de propagation du virus. Donc à l’abattoir de Port-Bouët, je peux dire qu’on a cette chance d’avoir une chaîne d’abattage moderne où on n’a même pas besoin d’attraper nous-mêmes l’animal car il y a un piège à contagion automatique qui va l’immobiliser et chacun à son poste, on fait progresser. Cela réduit considérablement la possibilité de propager la maladie entre nous. Pour les autres abattoirs, il faudra penser à installer une pareille chaîne d’abattage, en tout cas dans tous les abattoirs où on a au moins vingt bovins abattus par jour. Cela sera vraiment intéressant pour la population et pour les professionnels.
Qu’en est-il des autres difficultés ?
Dr D. K. : Les autres difficultés résident dans le fait que, en Côte d’Ivoire, nous ne sommes pas autosuffisants en matière de protéines animales. Quand je parle de protéines animales, il y a la viande, le lait, le miel, et même le lait en poudre et autres. En termes de protéines animales, nous dépendons énormément de l’extérieur. En ce qui concerne la viande, la population du District d’Abidjan aime la viande qu’on qualifie de fraîche c’est-à-dire la viande saignante qui provient des animaux qu’on vient d’abattre. Donc nous importons beaucoup de bétails vifs, qui arrivent sur pied et que nous abattons. Quand vous prenez le cas de l’abattoir de Port-Bouët, avant la crise (de la COVID 19, Ndlr) nous étions autour de 450 à 500 bovins abattus par jour, 250 à 300 petits ruminants abattus par jour. Vous imaginez que pour convoyer tous ces animaux des zones de production qui sont le centre et le nord de la Côte d’Ivoire, et essentiellement nos voisins que sont les pays sahéliens tels que le Mali et le Burkina Faso, cela requiert vraiment une logistique. Et ces animaux, quand ils arrivent, ils sont convoyés, c’est vrai qu’on les met dans des camions mais il y a des commerçants qui viennent avec leur bétail et il y a aussi des bouviers. Si vous faites attention lorsque vous êtes sur l’autoroute, d’ici à Ouangolodougou ou Niélé, vous voyez ces grands camions avec les cornes des bovins qui apparaissent et des jeunes qui se trouvent aussi dans les remorques. Ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas rentrer dans la cabine mais ils doivent surveiller ces animaux jusqu’à Abidjan. Parce que si l’un de ces animaux se couche, il sera piétiné par les autres et il va crever. Alors cela fait une perte. Donc ces jeunes surveillent ces animaux du point de départ au point d’arrivée afin qu’ils arrivent sur leurs quatre pattes à Abidjan. Donc tout ce monde arrive, c’est-à-dire le commerçant, les bouviers qui surveillent les bêtes…Et quand ils arrivent, il faut qu’ils retournent. Aujourd’hui, le Grand Abidjan est fermé, s’ils ne retournent pas, qui viendra nous approvisionner demain ?
Docteur, vous avez parlé des bêtes qui viennent, nous avons fait un tour dans les marchés et nous avons constaté que la plupart des bouchers ne portent pas les masques, les mesures barrières comme la distanciation ne sont pas de mise. Alors Dr, est-ce que l’abattoir n’est pas aujourd’hui un foyer de propagation de la COVID 19 ?
Dr D. K. : Je pense que pour l’instant, l’abattoir n’est pas un foyer de propagation de la maladie à Coronavirus mais il va falloir qu’on y veille parce que si vous n’avez pas vu probablement les masques, vous avez dû observer les points de lavage des mains…
Est-ce que cela est suffisant ?
Dr D. K. : Vous savez, les mesures qui ont été prises, on est allé étape par étape, et au fur et à mesure on augmente la fermeté et la rigidité de ces mesures. Avant le port du masque n’était pas obligatoire. Au début, nous avons eu plusieurs réunions ici où nous avons appelé les acteurs pour les féliciter car les premiers moyens de lutte pour observer les mesures barrières, ce sont ces acteurs eux-mêmes qui sont allés chercher les seaux qu’ils ont placés aux différentes entrées avec de l’eau et les produits désinfectants. Si vous aviez eu l’occasion d’interroger chaque boucher, vous auriez su que dans chaque boucherie, il y a du gel hydroalcoolique. Ça ce sont des mesures que nous avons demandées de façon obligatoire. On n’avait pas exigé le port du masque au début parce que le niveau de contamination ne le demandait pas. Mais aujourd’hui, je pense que ce n’est plus uniquement les bouchers qui doivent porter le masque, même les clients doivent venir aussi avec leur masque. Donc, de façon progressive, on va arriver à cela car on ne peut pas faire l’économie du port du masque actuellement. Donc aujourd’hui, nous sommes obligés d’exiger que non seulement les clients portent le masque pour venir faire leurs achats pour se protéger et protéger les autres, mais aussi que les bouchers en portent pour protéger les clients qui viennent chez eux.
Nous avons vu plusieurs bouchers qui ne portaient pas de masque…
Dr D. K. : Vous savez, à partir du moment où on fait passer le message, il y a une équipe qui sillonne pour veiller au respect de la consigne. Nous avons aussi les policiers parce que nous bénéficions d’un poste de police dont les agents veillent également au respect des recommandations. Et comme ils savent que l’après-midi il n’y a pas assez de clients, et qu’on relâche un peu car nous travaillons aussi en fonction de l’analyse du risque : c’est-à-dire que plus il y a du monde, plus nous renforçons notre présence lorsqu’il y a moins de monde, nous assouplissons le dispositif. Mais dans tous les cas, nous prenons en compte vos remarques et nous allons veiller à ce que le port de masque soit de mise tant qu’il y a des clients même s’ils ne sont que deux ou trois, que ceux-ci portent le masque et que les bouchers aussi puissent le porter.
Docteur, il est de plus en plus question d’un vaccin qui pourrait être testé en Afrique… De quoi s’agit-il exactement ?
Dr D. K. : Pour le moment, je préfère ne pas me prononcer sur tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Ce qu’on sait, c’est que lorsqu’un virus ou un agent pathogène comme la COVID 19 apparaît, il faut attendre en moyenne douze mois pour mettre en place un vaccin. Un an à peu près pour mettre en place un vaccin fiable. Parce que le gros problème avec ces virus, c’est qu’ils mutent de façon régulière. C’est-à-dire que vous avez un virus COVID 19 aujourd’hui, dans le cadre de sa transmission, de sa manipulation, il peut avoir une erreur dans le génome et cela crée un autre virus. Et le virus COVID 19 A peut donner un autre virus COVID 19 B. Si vous prenez le vaccin contre la COVID 19 A pour vacciner en guise de prévention contre le virus B, il va sans dire que ça ne marchera pas. C’est pour cela que nous devons être prudents. Nous savons qu’en général pour les maladies virales, il n’y a pas de traitement. La meilleure manière de se prémunir, c’est la prophylaxie médicale et la prophylaxie sanitaire qui concerne ce qu’on appelle les mesures barrières que sont le lavage des mains, le port du masque, la distanciation… Pour la prophylaxie médicale, qui est le vaccin, je pense que d’ici quelque temps, il y aura un vaccin qui sera disponible. C’est le même cas que nous connaissons avec la grippe : cette année quand vous vaccinez contre une grippe saisonnière, l’année qui suit, vous devez changer de vaccin. Maintenant comme nous sommes rodés sur la question, dès que les premiers malades sont là, on fait les différents prélèvements, le typage, on rentre en laboratoire et on sort avec le vaccin. Mais le virus du COVID 19 ne nous avait pas prévenus qu’il serait là. Il faut donc permettre aux chercheurs de mettre en place le vaccin qui soit véritablement efficace. Cela n’empêche qu’il ait des tentatives et des essais pour voir si ça pourrait marcher. Mais pour le moment, je préfère qu’on laisse la parole aux chercheurs qui vont nous trouver le vaccin qu’il faut afin qu’on puisse se prémunir de cette maladie.
D’aucuns disent que cette maladie pourrait causer de nombreux dégats humains en Afrique. Docteur, est-ce qu’il faut être inquiet ?
Dr D. K. : Oui ! Avant qu’on ne trouve un vaccin, il faut être inquiet. Vous avez vu vous-mêmes que hier (mardi 7 avril 2020, Ndlr) on a fait un bond avec plus de 60 nouveaux cas. Donc il faut être inquiet. Je vous disais que lorsque vous vous rendez dans certaines communes, dans certains quartiers, vous avez l’impression que nous ne sommes pas dans le même pays car les gens ne sont pas conscients. Et ont tendance à faire croire que c’est une maladie des Blancs et que ça ne tue pas les Noirs. Mais si on continue ainsi, on va avoir beaucoup de dégâts et il faut être très inquiet. Sur ce point, il faut qu’on continue de sensibiliser comme le font déjà nos autorités…
Justement, que pouvez-vous dire, à l’heure actuelle, aux populations ?
Dr D. K. : Il faut énormément de sensibilisation et de compréhension. Tous ceux qui s’y connaissent et qui ont une culture scientifique dans le domaine ne doivent pas se lasser d’échanger avec nos parents afin de les sensibiliser. Parce qu’il se trouve encore des gens qui pensent qu’on plaisante. Et quand tu leur demandes ce qu’ils pensent des nombreux cas de décès enregistrés dans certains pays où on dénombre jusqu’à mille morts en 24 heures du fait de cette maladie, ils donnent l’impression que ça n’arrive qu’aux autres. Au début même on disait que ça n’arriverait pas ici, et qu’avec la température, ça n’allait pas arriver mais on se rend compte qu’au-delà même de 30 degrés, le virus est là. Et aujourd’hui, de façon scientifique, il a été prouvé que COVID 19 peut passer de l’homme à l’animal. A Hong Kong, deux chats ont été contaminés par leur propriétaire, en Belgique, il y a un chat qui a été contaminé par son propriétaire. Même si aujourd’hui on n’a pas encore la preuve que le virus peut passer d’un animal à un autre, on est sûr qu’il passe de l’être humain à l’animal. Des animaux ont été testés et cela a été prouvé. Donc vous imaginez que si on continue de plaisanter avec cela, et qu’un jour un virus se crée et qui est capable de passer de l’animal à l’homme, vous imaginez ce que ça peut devenir. Donc il faut que les populations prennent la menace au sérieux. Qu’on continue de sensibiliser et que tous les parents sachent que ce qui se passe ailleurs c’est ce qui est en train d’arriver chez nous. Nous sommes aujourd’hui à trois morts, on va prier Dieu pour qu’on n’en enregistre plus mais en priant Dieu, il faut qu’on ait de bons comportements. Toutes les décisions que les autorités prennent comme mesures barrières, il faut qu’on les respecte. Il faut qu’on porte le masque surtout au niveau d’Abidjan qui est l’épicentre de la contamination où il n’y a pas une commune qui n’est pas touchée. C’est pourquoi aujourd’hui il est conseillé de porter le masque à Abidjan.
Source : BETAIL D’AFRIQUE d’avril 2020.