C’est la nouvelle mode électorale : exit les seconds tours, place désormais au « un coup KO » c’est-à-dire la victoire dès le premier tour de la présidentielle. Une stratégie orchestrée par les présidents en exercice, candidats à leur propre succession, qui menace sérieusement l’alternance démocratique.
Lancé par Alassane Ouattara et son staff électoral dans la foulée de la campagne en vue de la présidentielle d’octobre 2020 en Côte d’Ivoire, l’élection « un coup KO » a fait des émules en Afrique et est en passe de devenir la formule choyée par les présidents carriéristes du continent pour s’éterniser au pouvoir. En Côte d’Ivoire, le candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) a fait mouche avec son concept en sortant vainqueur de la présidentielle d’octobre dernier avec près de 95% des suffrages exprimés. Il a été imité par ses homologues guinéen Alpha Condé et ghanéen Nana Akufo-Addo. Et il faut s’attendre que la onzaine d’élections présidentielles prévues pour l’année 2021 sur le sol africain soient une occasion d’exploitation à fond de cette stratégie électorale.
La raison en est toute simple : pour ces scrutins qui poignent à l’horizon, les chefs d’Etat sortants sont pratiquement tous candidats pour se succéder à eux-mêmes. Si officiellement bon nombre d’entre avancent le coût exorbitant des élections pour afficher leur préférence pour les scrutins à tour unique, ils redoutent tous le vote à double tour avec une opposition coalisée capable de remettre en cause leur réélection. Mais il faut clarifier les choses. Un président sortant peut remporter une élection au premier tour ; les causes d’un tel cas de figure étant légion : une opposition peut se présenter dans un état de déliquescence avancée et dérouler, par son inaptitude et son déficit de stratégies, le tapis rouge de la victoire au président en exercice ; comme un bilan positif peut déclencher la satisfaction des électeurs et impliquer la réélection du président sortant. Ce n’est donc pas le principe de la victoire au premier tour lors d’une présidentielle qui pose problème. Mais les implications d’une victoire dans lesdites proportions, sur fond du concept controversé de « un coup KO ».
En effet, ce concept tient sa létalité du fait que ses promoteurs ne s’arrêtent pas qu’au mot. Lorsqu’ils prônent le « un coup KO » à une élection qui se veut inclusive et transparente, ils montrent clairement qu’ils sont prêts à mettre tout en œuvre pour la remporter. Malheureusement en usant de procédés et de moyens très souvent antidémocratiques. C’est alors tout le sens des mesures prises en amont soit pour contrôler l’organe en charge des élections, soit pour éliminer les adversaires les plus coriaces et les plus sérieux. Et de celles arrêtées en aval qui consistent à caporaliser l’armée, à mettre en place des milices sanguinaires parallèles aux forces légales dans la seule optique de faire barrage aux partisans de l’opposition qui tenteraient de contester leur victoire. Dans bien des situations, nous assistons à des manifestations de protestations réprimées avec une farouche violence. L’autre versant de ce concept de « un coup KO » est la terreur qui se situe aux antipodes de l’alternance, moteur de la démocratie. Cette approche est le manteau démocratique avec lequel les présidents en exercice habillent les élections, alors qu’en réalité elles sont bien loin de l’être. Avec les élections « un coup KO », savamment associées aux tripatouillages constitutionnels auxquels s’adonnent les chefs d’Etat en fin de mandat pour s’assurer une longévité au pouvoir, la démocratie marche à reculons en Afrique.
Serge YAVO