L’un des plus grands torts que les Africains, en général, et les Ivoiriens, en particulier, ont causés à la démocratie est incontestablement de lui avoir attribué, au cours de l’histoire, des qualificatifs : démocratie apaisée, démocratie participative…Des terminologies qui, dans le fond, n’ont servi qu’à galvauder un modèle de gestion politique qui contient en lui-même ces valeurs qu’on lui a prétendument associées. La démocratie, forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple, n’est-elle pas de ce fait une convocation adressée à tous à prendre part à la gestion de la nation ? N’est-elle pas une réponse pacifique aux crises sociales qui surviennent dans le commerce entre les hommes ?
A la vérité, nos acteurs politiques se sont refusés à appliquer les règles qui régissent la démocratie parce qu’elles leur auraient imposé de placer au-dessus des leurs, les intérêts du peuple. Conséquence, en Côte d’Ivoire, bien que les politiques se targuent d’être des démocrates, il faut bien reconnaître qu’ils ne sont, malheureusement, que des adeptes de la démocratie de clans. Celle qui commande que l’on considère tout propos, toute action relevant de la pire des hérésies comme démocratiques, du moment où ils font notre affaire.
Et comme en démocratie la Loi tient lieu de pilier central et essentiel, c’est par elle que passent les démocrates de clans pour opérer ; les techniciens du droit étant leurs agents favoris. Dans une démocratie de clans, comme la Côte d’Ivoire s’avère un parfait exemple depuis des décennies, le magistrat hors hiérarchie, super diplômé est à la manette. Alchimiste, il manipule les textes dans un exercice de contorsion dont lui seul détient les secrets. Faire passer le faux pour le vrai, défendre l’indéfendable et faire accepter l’inacceptable, c’est le résultat attendu par ses mandants de son travail de juriste-acrobate.
C’est bien au nom de la démocratie de clans que la quasi-totalité des acteurs politiques ivoiriens avaient applaudi bruyamment le coup de force qui avait balayé Henri Konan Bédié le 24 décembre 1999. Les opposants au régime du PDCI se sont, à cette époque, laissés aller à une telle effusion de joie qu’on aurait cru que le coup d’Etat était devenu un moyen démocratique d’accession au pouvoir. Quatre ans auparavant, toujours au nom de la démocratie de clans, Bédié avait, avec la complicité des juristes de son camp, réussi à se choisir un candidat qu’il battait plus tard à la présidentielle qui avait enregistré des troubles à l’issue du boycott actif lancé par le Front républicain, coalition regroupant le Rassemblement des républicains (RDR) et le Front populaire ivoirien (FPI).
La crise postélectorale 2010-2011 qui a éclaté entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, à l’issue du second tour de la présidentielle, n’est rien d’autre qu’une manifestation de la démocratie de clans qui mine la politique de Côte d’Ivoire depuis des décennies. Avant de rentrer d’exil et d’investir Alassane Ouattara en tant que président de la République, Paul Yao Ndré, président du Conseil constitutionnel sous Laurent Gbagbo, avait, au terme d’un exercice juridico-politique périlleux, invalidé des résultats du vote dans des zones favorables au candidat du RDR. Il avait opéré une coupe arbitraire dans le corps électoral à tel point que le décompte final donnait son candidat vainqueur.
Le président Ouattara qui avait donné des raisons d’espérer lorsqu’il a accédé au pouvoir en 2011, a finalement cédé aux sirènes de la démocratie de clans. Son administration s’est même présentée, durant ses deux premiers mandats, comme une championne de ce mode de gestion de l’Etat. Cependant, c’est avec son 3e mandat et les explications données pour le légitimer qu’ADO et les siens se sont révélés comme des chantres de la démocratie de clans. Si le « 1er mandat de la 3e république », selon leur formule consacrée, a été défendu bec et ongles jusqu’à l’investiture d’Alassane Ouattara le 14 décembre dernier, c’est bien au nom de la démocratie de clans. C’est au nom de cette forme abâtardie de la démocratie que le magistrat Koné Mamadou, actuel patron du Conseil constitutionnel, a tenu un discours, lors de l’investiture d’Alassane Ouattara, qu’il ne prendra sans doute pas plaisir à réécouter.
Disons-le sans tergiverser. La démocratie de clans est la racine du mal de la Côte d’Ivoire. Avec elle, l’Etat n’est plus une continuité mais un éternel recommencement. Lorsqu’on l’érige en mode de gouvernance, il faut dire adieu à l’avènement d’une nation car elle commande de faire la part belle à ceux de son camp. La réconciliation nationale, dans une démocratie de clans, ne restera qu’un projet à jamais achevé. En réalité, il y a plus à perdre qu’à gagner dans ce modèle de gouvernance. Espérons simplement que le 1er mandat de la 3e république en ait une aversion afin de donner de réelles chances de progrès à notre pays, la Côte d’Ivoire.
Par Serge YAVO