Une société en faillite ? Gestion de la Sodefor : Le DG Mamadou Sangaré accablé par un rapport d’audit
Dans sa parution N°665 du mardi 14 au lundi 20 janvier 2020, «L’Eléphant Déchaîné » avait révélé les déboires de Mamadou Sangaré, le directeur général de la Sodefor depuis le mois de décembre dernier. L’infernal quadrupède a fini par en savoir davantage sur les raisons des mesures prises par Alain-Richard Donwahi à l’encontre de ce dirigeant d’une structure étatique.
UN RAPPORT D’AUDIT QUI LEVE LE LIEVRE
« Si le projet d’états financiers annuels soumis à votre examen est arrêté sans modification par le conseil d’administration, nous envisageons d’émettre une opinion défavorable sur les comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2017 en raison de l’importance des points décrits au paragraphe 2.1. », tel est l’avertissement donné par les commissaires aux comptes de la Société de développement des forêts (Sodefor) après la mission qui leur a été confiée par le Secrétariat d’Etat auprès du Premier ministre chargé du Budget et du Porte-feuille de l’Etat, et suite à leur contrôle du projet d’états financiers annuels de l’exercice clos le 31 décembre 2017 présenté la direction générale de la Sodefor. Leur décision a été prise en vertu de l’article 715 de l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE.
DE GRAVES IRREGULARITES POINTEES DECELEES
C’est conformément aux normes internationales d’audit telles que prévues par le règlement N°01/2017/CM/OHADA portant harmonisation des pratiques des professionnels de la comptabilité et de l’audit dans les pays membres de l’OHADA et en conformité avec les articles 710 et 717 de l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE que les auditeurs KPMG-CI et International Conseils et Expertise ont mené leur mission. Une copie de leur rapport consulté par le quadrupède a permis de comprendre que ces auditeurs n’ont pas du tout été tendres avec la direction générale de l’entreprise publique.
Ils ont même fait des observations pertinentes sur le projet des états financiers annuels qui a été soumis par la direction générale aux administrateurs de la société étatique. « Dans le rapport du commissariat aux comptes précédent, une réserve avait été formulée sur la valeur recouvrable des créances clients pour un montant total de 1,2 milliard de francs CFA, du fait du risque de non recouvrement. Au cours du présent audit sur les comptes clos au 31 décembre 2017, nous avons réévalué le risque de dépréciation nécessitant une charge de provision à 1,1 milliard de francs CFA. Ce montant correspond aux créances à forte antériorité (plus de deux ans) dont le recouvrement est compromis», ont-ils souligné au sujet de la dépréciation des créances douteuses.
Sur la dépréciation des débiteurs divers, ils ont ajouté : « Les comptes débiteurs divers comprennent un montant de 550 millions de francs CFA correspondant aux dépenses préfinancées par la SODEFOR dans le cadre d’acquisition d’une parcelle de 20 hectares (sise à Alokoi) destinée à une opération immobilière au profit du personnel. La procédure entamée par la direction de la société, pour l’obtention de l’arrêté de concession définitive n’est pas encore aboutie en raison des oppositions faites par les cédants (les propriétaires terriens et chefferie du village). Les discussions avec ces tiers qui indiquent n’avoir pas reçu la totalité des sommes convenues de la part du notaire de la SODEFOR n’ont pas connu d’évolution favorable à ce jour. Ainsi, la SODEFOR ne peut se prévaloir de la propriété dudit terrain.
Par conséquent, afin de couvrir ce risque, nous sommes d’avis que cette créance de 550 millions de francs CFA fasse l’objet d’une dépréciation à hauteur dudit montant dans les états financiers au 31 décembre 2017. » Se prononçant sur les autres ajustements, ils ont fait savoir : « Les autres ajustements non comptabilisés s’élèvent à 81 millions de francs CFA et concernent essentiellement : des factures non parvenues pour lesquelles les prestations ou achats ont été réalisés et payés en avance pour 61 millions de francs CFA ; des montants en instance de régularisation enregistrés depuis plusieurs années dans les comptes d’attente pour 20 millions de francs CFA. Il est entendu qu’un compte d’attente est un compte à utiliser provisoirement sur une courte durée en attendant que la nature comptable des opérations concernées soit connue.»
DE SERIEUX DOUTES SUR LES REALISATIONS DE MAMADOU SANGARE
« Le chiffre d’affaires enregistré au titre de l’exercice 2017 par la SODEFOR s’élève à 4,9 milliards de francs CFA dont un montant de 4,5 milliards de francs CFA portant sur les ventes de bois », ont révélé les auditeurs. Mais ces derniers ont exprimé des doutes sur la fiabilité des données de suivi des contrats produites par la direction générale. «Nous n’avons pas pu obtenir l’ensemble des bordereaux d’exécution des contrats permettant de valider les données contenues dans les états de suivi des contrats. Les bordereaux d’exécution que nous avons pu analyser présentaient des taux d’avancement de contrats différents des taux mentionnés dans les états de suivi des contrats utilisés pour déterminer le niveau des ventes de bois», ont-ils révélé. Sur la cohérence des données de suivi des ventes de bois avec la comptabilité, les commissaires aux comptes ont expliqué: « L’analyse des comptes de ventes de bois fait apparaître une annulation d’un montant de 1,4 milliard de francs CFA comptabilisée par la SODEFOR en vue de résorber l’écart entre les ventes comptabilisées et les états d’exécution des contrats. La contrepartie de cette opération d’annulation a été enregistrée dans le poste « produits constatés d’avance ». La direction de la société n’a toutefois pas fourni d’explication permettant de justifier l’écart et en conséquence la régularité de cet ajustement. En raison de ce qui précède, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur l’exhaustivité et l’exactitude des ventes de bois inscrites dans les comptes pour un montant de 4,5 milliards de francs CFA, ainsi que des produits constatés d’avance pour un montant de 1,4 milliard de francs CFA. »
S’agissant des plantations créées par la Sodefor, ceux-ci ont également émis des réserves. « Dans le rapport du commissariat aux comptes de l’exercice précédent, une réserve avait été formulée sur les créations de plantations d’une valeur de 8,8 milliards de francs CFA, au motif qu’elles n’étaient pas correctement évaluées. Au cours du présent audit, nous avons également constaté les anomalies suivantes dans l’évaluation des plantations créées : les coûts comptabilisés à l’actif sont incomplets car ils n’incluent pas les charges indirectes afférentes aux créations de plantations ; un inventaire précis des superficies disponibles et non sinistrées n’est pas réalisé de sorte qu’il n’est pas possible d’apprécier les ajustements qui auraient dû être comptabilisés à la suite des incendies, des cessions et des reboisements. En raison de tout ce qui précède, nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’exactitude, la réalité et la correcte évaluation des plantations enregistrées pour une valeur de 8,7 milliards de francs CFA dans les états financiers clos le 31 décembre 2017 », ont-ils fait remarquer.
Qu’en est-il de la provision incendie? Là encore, les auditeurs ont exprimé des appréhensions. « La SODEFOR consacre une provision pour faire face au risque d’incendie de l’espace reboisé. Selon les procédures internes de la société, cette provision est déterminée en tenant compte des paramètres suivants : parcelles à risque : parcelle dont l’âge est inférieur ou égal à 4 ans ; le taux de probabilité de perte estimé à partir des superficies et coûts des parcelles perdues à la suite des incendies survenus au cours des dix dernières années. Notre audit montre que la superficie des parcelles à risque de 2890 ha prise en compte par la SODEFOR pour la détermination de la provision à fin décembre 2017 ne comprend pas les plantations dont l’âge est compris entre 1 et 4 ans. En outre, nous n’avons pas pu obtenir la documentation relative au taux de probabilité de perte estimé à 17,22% et utilisé pour l’évaluation de la provision pour incendie. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur la correcte évaluation de la provision d’un montant de 412 millions de francs CFA comptabilisée dans les comptes au 31 décembre 2017 », ont-ils reconnu.
LA SODEFOR, UNE SOCIETE EN FAILLITE ?
Aujourd’hui, la santé financière de la Sodefor laisse à désirer. Pis, tout porte à croire, selon le rapport des commissaires aux comptes, que la société publique est quasi en faillite. «La SODEFOR présente une situation financière déséquilibrée avec des dettes d’exploitation très importantes.
Ainsi, les passifs exigibles excèdent d’environ 10 milliards de francs CFA les actifs réalisables au 31 décembre 2017 après la prise en compte des ajustements non comptabilisés. La trésorerie disponible à cette même date pour y faire face s’élève à 1milliard de francs CFA, faisant peser ainsi un risque de cessation de paiement pour la Sodefor. A notre avis, cette situation indique l’existence d’une incertitude significative susceptible de jeter un doute important sur la capacité de la société à poursuivre son exploitation », ont courageusement conclu les cabinets
KPMG-CI et International Conseils et Expertise.
MAMADOU SANGARE N’EN FAIT QU’A SA TETE A PRESENT
Selon une source de « L’Eléphant Déchaîné » au ministère des Eaux et Forêts, Alain-richard Donwahi avait demandé, suite à la situation de la Sodefor exposée par les commissaires aux comptes dans le rapport daté du 13 juillet 2018, qu’ « un certain nombre de mesures soient prises en vue de la restauration de la gouvernance et de la situation financière de la Sodefor ». Et toujours selon la même source, il avait à cet effet « instruit le conseil d’administration de la société de diligenter un audit de la gestion technique, commerciale, financière et fiscale de la société, portant sur les exercices 2015, 2016 et 2017 sur les points de réserves des commissaires aux comptes. » Mais cette instruction d’Alain-Richard Donwahi a été piétinée par Mamadou Sangaré. « Il a refusé de donner tous les documents.
Les cabinets qui ont été commis pour le travail, il a refusé de signer leur contrat pour qu’ils puissent faire l’audit. C’est de l’insubordination », explique la source du quadrupède.
Et tout récemment, le ministre des Eaux et Forêts a décidé que désormais « la concession de gestion forestière est accordée par décret et que la signature des Conventions de partenariat avec le secteur privé relève exclusivement de la compétence du Ministre des Eaux et Forêts ».
Par ailleurs, face au refus des administrateurs de signer les arrêtés des comptes depuis 2018, le directeur général de la Sodefor a décidé de fonctionner avec le douzième provisoire sans l’accord des administrateurs.
Pour ce faire, il est aidé par un haut responsable de la Direction générale du Portefeuille de l’État (DGPE) dont la femme serait en affaires avec lui.
Récemment, il a mené une opération de déguerpissement des paysans infiltrés dans la forêt classée de Rapides-Grah. Suite aux débordements constatés sur le terrain, le ministre des Eaux et Forêts a demandé la suspension immédiate de l’opération. Mais selon certaines indiscrétions, Mamadou Sangaré ne s’est pas plié à cette décision ministérielle. Ces agents interpellés par les autorités administratives auraient fait savoir à un sous-préfet qu’ils reçoivent uniquement les ordres auprès de leur directeur général.
Anne Désirée Ouloto se serait également plaint récemment auprès de son collègue Alain-Richard Donwahi sur les agissements du dégé de la Sodofor dans sa localité. Tout porte à croire que Mamadou Sangaré a décidé de tenir tête à son ministre de tutelle qui l’a dépouillé de certaines de ses prérogatives.
A.G. in L’Eléphant déchainé N°667