San Pedro: Félix Anoblé, un maire, comme dans un ‘’Etat voyou’’… cafouillage autour du déblocage des salaires des agents
Cela ressemble à s’y méprendre à une promesse non tenue. Selon plusieurs agents de la mairie de San Pedro, en octobre dernier, lors de l’une des premières prises de parole à leur endroit du maire fraîchement élu, Felix Anoblé avait été clair : « Vos salaires sont misérables, je vais améliorer cela ».
Plus d’un an après, force est de constater que rien n’a changé. Et pourtant, d’un point de vue réglementaire, le maire de San Pedro, également député de la zone et ministre de la Promotion des PME, est dans l’obligation de revaloriser le salaire des agents de sa municipalité.
La décision est en effet nationale et a été prise suite à un mouvement de contestation dans tout le pays. « Nous avons fait grève les 11, 12 et 13 avril 2018 sur plusieurs points, explique un agent d’une mairie abidjanaise. Notamment l’avancement de nos salaires bloqués depuis 1984 et pour que les agents des mairies deviennent fonctionnaires territoriaux. Nous avons obtenu le premier point ».
Un télégramme officiel est venu sanctionner cette décision du gouvernement qui concerne la revalorisation des salaires en fonction des diplômes et de l’ancienneté, le 11 avril 2018. « La grève a continué pour obtenir gain de cause sur les autres points les 12 et 13 mais sans succès » précise l’agent.
Ce document dont copie est parvenu à L’Eléphant, ordonne donc aux collectivités territoriales, dont les mairies, de prendre en compte les nouveaux échelons des agents en fonction de leur diplôme et de leur ancienneté. Les municipalités doivent également procéder tous les deux ans à la revalorisation liée au changement d’échelon. À cela s’ajoute les mois d’arriérés de salaire comptés à partir du mois de janvier 2019, dans le cas des agents de la mairie de San Pedro, cela correspond aujourd’hui à 11 mois de rappel.
« Cette prise en compte était d’ailleurs une obligation pour que le budget de la collectivité soit adopté en 2019 et validé par l’État. Il l’a été autour du mois de juin-juillet », explique un agent.
Difficile dès lors de comprendre que ces derniers n’ont toujours pas pu bénéficier de leur avancement au début du mois de décembre. Une frustration qui s’exprime chez de nombreux agents de la municipalité : « j’ai un ami à Abidjan qui a pu construire une maison grâce à ces arriérés. Nous on est là, on souffre à San Pedro et on ne voit toujours rien alors que le budget prévoit tout cela. En plus la vingtaine d’agents récemment arrivés à la mairie après l’élection du maire, ont bien reçu le nouveau salaire et les mois d’arriérés, alors même qu’ils ne se sont pas battus pour cela».
Par ailleurs, selon les informations glanées au fil de la trompe par l’Eléphant, San Pedro est la seule commune de Côte d’Ivoire, parmi celles dont le budget dépasse les 2,5 milliards de francs-CFA et ne bénéficiant donc pas de subvention de l’État, à n’avoir toujours pas revalorisé le salaire des agents. Ailleurs si le salaire est bien pris en compte, les arriérés ne le sont néanmoins pas toujours.
Absence de documents déposés au Trésor
Pourquoi une telle exception dans la ville qui héberge le premier port cacaoyer du monde ?
Contacté, le maire de San Pedro, le ministre, a fait comprendre que ce genre de dossier ne se gérait pas à son niveau. Il a renvoyé l’Eléphant vers Alassane Diabaté, Directeur des ressources humaines de la mairie.
Interrogé sur l’absence de déblocage de l’avancement des agents contrairement à d’autres communes de la zone, il répond : « Les gens disent ce qu’ils veulent mais ce ne sont pas toutes les communes qui ont pris en compte cela. D’autres l’ont fait au mérite et ne l’ont pas donné à tout le monde. Le maire a décidé de le faire pour tous les agents ».
À l’en croire, si les agents ne sont pas payés à hauteur du nouveau salaire, ce ne serait pas du fait d’un manque de volonté du premier magistrat de la ville mais plutôt d’un blocage technique au niveau du Trésor. Les agents qui y travaillent ont besoin d’un certain nombre de documents pour pouvoir débloquer les fonds et donc appliquer le télégramme officiel.
« En octobre, nous avons voulu payer les salaires mais il y a eu un problème au niveau du Trésor. Nous avons mis sur un même document la décision de recrutement revalorisé et le contrat d’engagement indiquant le nouveau traitement salarial. Ils veulent forcément les cinq documents séparément et disent « qu’ils ne veulent pas interpréter la loi », détaille-t-il.
Une explication bancale qui, selon plusieurs sources en interne, ne tiendrait pas plus la route qu’un Massa surchargé sur la côtière entre Grand Lahou et San Pedro. Le trésorier n’aurait en fait tout simplement pas reçu les décisions de recrutement revalorisé nécessaire au déblocage. Une absence de documents qui pose question quant à la volonté du maire d’appliquer le télégramme officiel.
Concernant la revalorisation effective pour la vingtaine d’agents arrivés depuis l’élection dont Alassane Diabaté fait partie, le DRH justifie : « On vient d’arriver il y a une nouvelle grille salariale, donc on ne peut pas être sur l’ancienne. Ceux qui sont déjà là, eux étaient sur l’ancienne donc c’est plus compliqué ».
Néanmoins selon Alassane Diabaté, contacté à la fin du mois d’octobre, le problème était en cours de règlement et le nouveau salaire allait être versé aux agents en novembre.
Las, après avoir attendu d’abord jusqu’au 23 novembre pour toucher leur salaire non revalorisé d’octobre, les agents devront encore attendre puisque le trésorier vient de retoquer une nouvelle fois la prise en compte des nouveaux salaires.
Une décision qui serait logique, selon plusieurs sources, puisque les salaires signés comprenaient quelques incongruités pour un certain nombre de membres de la mairie. Malgré la « revalorisation », de nombreux agents voyaient étonnamment leur salaire baisser ! Un étrange calcul.
Les grandes oreilles de l’Eléphant ont pu entendre que, cette fois, les salaires n’étaient pas conformes au cadre organique de 2019. Ce document qui détaille les salaires de chaque agent et correspond à délibération du conseil municipal relative aux avancements est le document de référence sur lequel le maire doit s’appuyer pour appliquer le télégramme officiel.
Alors que la fin d’année approche et que les agents ne voient toujours rien venir. Une inquiétude point à la mairie de San Pedro. « L’exercice budgétaire est clos au 15 décembre, si on n’a pas eu la revalorisation d’ici à la fin de l’année, est-ce que les arriérés ne vont pas tomber à l’eau ? ».
« Le ministre ne voit pas les choses de cette manière », tente bien de rassurer, Alassane Diabaté. L’Eléphant n’en est pas si sûr.
DORIAN CABROL, L’éléphant déchainé n°663
NB : LE TITRE EST DE LA REDACTION DE AFRICANEWSQUICK.NET