Nouvelles taxes pour le financement de la SIR : « Arrêtons de nous foutre des Ivoiriens ! », s’indigne André Silver Konan.
L’analyste politique et ex-journaliste d’investigation reproduit tous les financements dont la Société ivoirienne de raffineries a bénéficié depuis l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, en 2011 et s’interroge sur la pertinence d’imposition d’une nouvelle taxe infligée au consommateur. Ci-dessous l’intégralité de son texte.
Août 2011 : La SIR reçoit un financement de 160 milliards FCFA
Dans le cadre de l’atteinte d’ici 2020 du renouveau économique amorcé par la Côte d’Ivoire, La Banque Africaine d’Import-Export (Afreximbank) a mis à disposition de quatre entreprises publiques ivoiriennes la somme de 359 millions d’euros, a affirmé Jean-Louis Ekra, Président de la Banque.La SIR reçoit 160 milliards FCFA d’Afreximbank et BIAO
La signature de la convention de prêt a eu lieu, le 3 août 2011, entre le président de Afreximbank, Jean- Louis Ekra et le Directeur général de la SIR, Joël Dervain au ministère de l’Economie et des Finances. Cela en présence des ministres, Adama Toungara, des Mines, du Pétrole et de l’Energie et Charles Diby Koffi de l’Economie et des Finances » (Source: CGECI).
Décembre 2013 : la SIR emprunte 150 milliards FCFA
« la SIR emprunte 300 millions de dollars (environ 150 milliards FCFA) pour financer ses importations de pétrole. La Société financière internationale (SFI) et la Société générale ont conjointement constitué un mécanisme de 300 millions de dollars destiné à la Société ivoirienne de raffinage (SIR). Cette facilité contribuera à garantir un flux régulier d’importations de pétrole brut » (Source: Jeune Afrique)
Juin 2014 : la SGBCI octroie 75 milliards FCFA de crédit à la SIR
« Au cours du premier semestre 2014, la Société générale de banques en Côte d’Ivoire (SGBCI) avait déjà mis à sa disposition une ligne de crédit de 150 millions de dollars. Quelques mois plus tôt, la même banque, avec la Société financière internationale (SFI), BNP Paribas et Standard Chartered, avait débloqué 300 millions de dollars pour financer des importations en provenance des champs pétroliers nigérians Bonga et Forcados » (Source: Jeune Afrique).
Juillet 2016 : Une dette comprise entre 200 et 350 milliards FCFA
un fonctionnaire du ministère de l’économie, qui a demandé à ne pas être nommé, a indiqué que la dette était de plus de 200 milliards de francs CFA , tandis qu’un analyste du secteur pétrolier l’estimait à environ 350 milliards de francs CFA. Le ministre ivoirien de l’Énergie, Adama Toungara a déclaré aux journalistes jeudi soir qu’il espérait que le gouvernement allait prendre une décision dans les prochains jours (Reuters).
Octobre 2016 : 100 milliards FCFA pour « sauver » la SIR
Le gouvernement va miser « une centaine de milliards FCFA » (152,4 millions d’euros) pour faire souffler la SIR, la société ivoirienne de raffinage, la plus importante entreprise du pays en termes de chiffre d’affaires. Cet appui financier « dimensionné aux besoins de l’entreprise et non reconductible » fait suite à un audit diligenté entre 2012 et 2014 qui a mis à nu « des difficultés d’ordre organisationnel, comptable et financier ». (Financial Afrik)
Octobre 2016 : « La SIR se trouve dans un état reluisant » (porte-parole du gouvernement)
« La SIR se trouve dans un état reluisant et l’État vient améliorer la santé financière de l’entreprise. Sa dette va être apurée par un soutien financier. Il s’agit de faire en sorte que le montant porté, corresponde à son activité, à son bilan total et à ses fonds propres. C’est tout cela qui est en train d’être étudié par des spécialistes qui aujourd’hui traitent de cette question (…)
Il y a des discussions en cours. Une partie du montant est apportée par l’État de Côte d’Ivoire et une autre par des financiers privés. Les discussions ne sont pas achevées à ce niveau-là et c’est pour cela nous avons convenu de ne pas indiquer de montant. Vous pouvez le deviner, il s’agit de centaines de milliards FCFA » (Source: Fraternité Matin)
Janvier 2017 : 200 milliards FCFA pour l’approvisionnement en brut de la SIR
La Société ivoirienne de raffinage (SIR) vient de bénéficier d’un prêt de 400 millions de dollars, soit plus de 200 milliards de francs CFA, d’un pool bancaire composé des filiales locales d’Ecobank, de la BOA et de Coris Bank. Un financement qui vient soulager la trésorerie du raffineur et destiné à son approvisionnement en pétrole. (Source: Financial Afrik)
Janvier 2018 : le gouvernement compte lever 368 milliards FCFA pour régler une partie de la dette de la SIR
Le gouvernement de la Côte d’Ivoire compte lever, en 2018, des fonds d’un montant de 368 milliards de F CFA (environ 561 millions d’euros) pour la restructuration d’une partie de la dette de la Société ivoirienne de raffinage (SIR).
Les fonds seront obtenus “à travers un prêt syndiqué auprès de banques commerciales et de développement”, selon les précisions apportées par le ministre de l’Economie et des Finances, Adama Koné, dans le “Supplément au Mémorandum de politiques économique et financière 2017-19”, transmis le 17 novembre 2017, au Fonds monétaire international (FMI). En outre, “un soutien de l’État correspondant à 26,7 FCFA/L sera entièrement alloué au remboursement de la dette”.
Août 2018 : Le gouvernement fixe une taxe de 30 FCFA par litre
Au titre du secrétariat d’Etat auprès du premier ministre, chargé du Budget et du Portefeuille de l’Etat, en liaison avec le ministère du Pétrole, de l’Energie et des Energies renouvelables ; le Conseil a adopté une ordonnance instituant la taxe de soutien au développement de l’activité de raffinage ainsi que son projet de loi de ratification formalisant l’allocation des ressources de la SIR, pour le remboursement de l’emprunt à contracter dans le cadre du refinancement de la dette à court terme de la SIR.
Cette mesure institue une taxe de 30 francs CFA par litre à l’ambiant sur le super carburant, de 15 francs CFA par litre à l’ambiant sur le gasoil et de 30 francs CFA par kilogramme sur la DDO et le fuel oil, en vue de soutenir durablement le développement de l’activité de raffinage en difficulté » (extrait du conseil des ministres du mercredi 1er août 2018).
Mon commentaire
D’un: quand je fais le point, la SIR a bénéficié, depuis 2011, d’au moins 685 milliards FCFA de financement. Quelle est donc cette entreprise qui reçoit des financements presque chaque année, sans qu’on ne sache exactement ce que cela a rapporté à la Côte d’Ivoire.
Deux : je note qu’en octobre 2016, Bruno Nabagné Koné, alors porte-parole du gouvernement avait déclaré que « La SIR se trouve dans un état reluisant » et que des discussions concernant « des centaines de milliards » (notez ici et au passage, le manque de transparence) dont l’objectif était « de faire en sorte que le montant porté, corresponde à son activité, à son bilan total et à ses fonds propres ». Alors question : comment une entreprise au bilan reluisant en 2016, qui avait bénéficié de tant de financements, se retrouve encore en 2018, avec des milliards de dettes ? Où est passé tout cet argent ? A quoi cela a servi ?
Trois : en janvier 2018, le gouvernement annonce qu’il va lever 368 milliards FCFA, pour « régler une partie de la dette de la SIR ». C’est vraiment curieux. En fin de compte, la dette de la SIR s’élève exactement à combien ? Comment cette dette est survenue ? A quel moment entre 2016 et 2018, cette dette a été contractée, surtout que celle-ci s’élevait en 2016 entre 200 et 350 milliards FCFA. L’Etat évoque « une partie de la dette de la SIR ». Ce qui suppose que cette dette est plus importante qu’on ne le croit. Alors je répète : la dette de la SIR s’élève, en fin de compte, à combien ?
Quatre : en janvier 2018, l’Etat a annoncé qu’il allait apporter « un soutien correspondant à 26,7 FCFA/L ». D’abord, tel qu’annoncé au FMI, cela voulait dire que l’Etat comptait puiser dans ses ressources propres au Trésor, pour régler la dette. Mais notez que le 26.7 FCFA par litre, en janvier, l’Etat ne s’est pas gêné, pour passer à 30 FCFA par litre à imposer au consommateur.
Du coup, le gouvernement ivoirien est devenu le seul au monde à instituer une taxe pour rembourser un prêt qu’il n’a pas encore contracté, lequel prêt est destiné à rembourser une autre dette. Hallucinant ! Mais à quoi sert-il donc de faire si compliqué ce qui est simple ? Pourquoi utiliser cette taxe à remboursement une dette qu’on contracter pour rembourser une autre dette, alors qu’on aurait pu faire simple, en utilisant cette taxe au remboursement même de la dette ?
En définitive, tout se passe comme s’il y avait quelque chose à manger dans l’endettement de la SIR. Pourquoi personne au gouvernement ne nous fait le point des dettes que nous payons ? En effet, rien n’explique cette stratégie d’endettement, dès lors que la situation de l’entreprise est « reluisante ». Et quand bien même cette situation serait dramatique, quelle est la cause des problèmes ? Manifestement, renflouer les caisses de l’entreprise par le contribuable n’est pas la solution, puisqu’on continue de les renflouer. Mais alors pourquoi continue-t-on d’appliquer la même méthode en espérant avoir des résultats différents ?
Si donc la méthode ne marche pas et que les dirigeants ont bien conscience qu’elle ne produira pas de meilleurs résultats, cela veut dire tout simplement que quelqu’un gagne à continuer à endetter la SIR. Je peux me tromper, mais c’est mon intime conviction. Arrêtons de nous foutre des Ivoiriens !
André Silver Konan