Ibrahim Boubacar Keïta et son premier ministre, Boubou Cissé, ont été arrêtés par le groupe de soldats qui a pris, mardi matin, le contrôle d’un grand camp militaire dans la banlieue de Bamako
Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, et son premier ministre, Boubou Cissé, ont été arrêtés, mardi 18 août en fin d’après-midi à Bamako, par des militaires en révolte, a affirmé à l’Agence France-Presse (AFP) le directeur de la communication du chef du gouvernement malien, Boubou Doucouré.
Les deux dirigeants « ont été conduits par les militaires révoltés dans des véhicules blindés à Kati », où se trouve le camp Soundiata Keïta, à une quinzaine de kilomètres de la capitale du pays, Bamako, a précisé M. Doucouré, confirmant une affirmation à l’AFP d’un des chefs de la mutinerie.
Le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a « condamné » dès mardi soir une « tentative de coup d’Etat », rejetant, comme plusieurs capitales avant lui, tout « changement anticonstitutionnel » au Mali. Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) a annoncé la tenue d’une réunion d’urgence, dès mercredi et à la demande de la France et du Niger, pour suivre l’évolution de la situation. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé dans un communiqué à la « libération immédiate et sans conditions » du chef de l’Etat.
Dans la matinée, des militaires maliens ont pris le contrôle du grand camp militaire Soundiata Keïta de Kati. Le groupe s’est ensuite dirigé en convoi vers le centre de la capitale, selon un correspondant de l’AFP, où les militaires ont été acclamés par des manifestants rassemblés pour réclamer le départ du chef de l’Etat aux abords de la place de l’Indépendance, épicentre de la contestation qui ébranle le Mali depuis plusieurs mois. Leur trajet s’est poursuivi vers la résidence du président Keïta, où le chef de l’Etat était présent, en compagnie de son premier ministre. Tous deux ont été arrêtés dans l’après-midi.
La Cédéao contre un « changement politique anticonstitutionnel »
Dès la confirmation d’une mutinerie, commencée au camp de Kati, le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, a condamné mardi « avec la plus grande fermeté cet événement grave » dans un communiqué, appelant les militaires à « regagner sans délai leurs casernes ». Emmanuel Macron s’est entretenu avec plusieurs présidents de la région, a fait savoir l’Elysée à l’AFP.
De son côté, sur son compte Twitter, le président de la commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a condamné « énergiquement » l’arrestation et appelé « les Nations unies et toute la communauté internationale à conjuguer efficacement leurs efforts pour s’opposer à tout recours à la force pour la sortie de la crise politique ».
Le président français a dit soutenir la médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui a rappelé dans un communiqué « sa ferme opposition à tout changement politique anticonstitutionnel ». L’ambassade de France à Bamako « recommande instamment » à ses ressortissants de rester chez eux.
Peter Pham, l’émissaire américain pour le Sahel, a également fait savoir sur Twitter que « les Etats-Unis s’oppos[aient] à tout changement extraconstitutionnel de gouvernement, que ce soit par ceux qui sont dans la rue ou par les forces de défense et de sécurité ».
« Les mouvements d’humeur constatés traduisent une certaine frustration qui peut avoir des causes légitimes », avait estimé le premier ministre malien dans un communiqué publié par le gouvernement juste avant l’annonce de son arrestation, en appelant les militaires à « faire taire les armes » et à engager « un dialogue fraternel ».
La plus importante contestation du pouvoir depuis 2012
Le Mali, épicentre de la menace djihadiste au Sahel depuis 2012, est confronté depuis juin à une grave crise sociopolitique. Lundi, l’opposition a annoncé de nouvelles manifestations cette semaine pour réclamer le départ du président avec en point d’orgue l’occupation d’une place symbolique au cœur de Bamako vendredi et samedi.
Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP), qui mène depuis trois mois la plus importante contestation du pouvoir depuis le coup d’Etat de 2012, est une coalition hétéroclite de guides religieux, d’opposants politiques, de membres de la société civile et de syndicalistes.
Il a refusé jeudi dernier une rencontre avec le président, proposée par le médiateur des Etats ouest-africains, l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, fixant notamment comme préalable la fin de la « répression » contre ses militants. Le week-end du 10 juillet, une manifestation à l’appel du Mouvement du 5 juin a dégénéré en trois jours de troubles meurtriers. L’opposition évoque un bilan de 23 morts et plus de 150 blessés. Le premier ministre a parlé de 11 morts et l’ONU de 14 manifestants tués.
La crise actuelle est partie de l’invalidation d’une trentaine de résultats des élections législatives de mars et d’avril par la Cour constitutionnelle, dont une dizaine en faveur de la majorité du président Keïta.
Le Monde avec AFP et Reuters