Docteur Hary Rabary est gynécologue obstétricienne. Passionnée d’écriture, elle publie en 2023 chez Dodo Vole, son premier roman intitulé Zakoa. Sous la forme d’une longue lettre, l’auteure y aborde la question de l’abus sexuel. Un sujet brûlant, presque tabou dans nos sociétés africaines… Zakoa est en lice pour la finale du POLA (Prix Orange du Livre en Afrique) 2024.
Docteur, à quel moment vous vous dites : « Il faut que j’écrive ce livre sur le viol » pour donner voix à ce que ces femmes-là vivent en silence ?
Il y longtemps. Quand exactement ? Difficile à situer dans temps. Probablement, une dizaine d’année, sinon plus. J’ai déjà écrit un roman sur le viol, avant Zakoa, mais il n’a pas trouvé preneur, pour l’instant.
La plupart des femmes violées n’osent pas en parler, contrairement à Rota, votre héroïne. Comment êtes-vous arrivée à la convaincre ?
Je n’ai pas eu à la convaincre. Pas vraiment. Elle avait avoué à son conjoint qu’elle avait été violée quand elle était lycéenne, et qu’ensuite elle a subi un viol collectif pendant sa vie estudiantine à la cité universitaire. Il était sidéré qu’elle soit encore en vie. Plus d’une se serait suicidée après autant de souffrances. C’est ainsi que l’idée lui est venu de vouloir partager son histoire pour aider les victimes à ne pas sombrer dans la dépression, ou à croire que tout est fini, et que la vie ne vaut plus la peine d’être vécu. Elle est donc venue d’elle-même confier son histoire, sans pour autant tout dévoiler de sa vraie vie.
Pourquoi avoir opté pour la forme épistolaire de votre roman ?
J’ai longtemps réfléchi à la forme que j’allais donner à cette histoire. Au début, pour quelques pages, j’ai essayé la narration à la troisième personne du singulier, mais cela avait l’air d’une simple critique d’un fait de société. J’avais également essayé la simple narration à la première personne du singulier, le résultat était sensiblement le même. C’était difficile de s’identifier au personnage. Alors la forme épistolaire s’est imposée d’elle-même. L’écriture s’est directement fluidifiée.
Que doit-on attendre de cette lettre adressée directement à son bourreau ?
L’héroïne du roman n’attend pas grand-chose de son bourreau finalement, même si elle revendique dans sa lettre qu’il reconnaisse que c’est lui le monstre, pas elle. C’était plutôt une écriture libératrice, pour elle-même, pour se défaire des liens de son passé qui semblaient la tenir encore. Elle voulait se libérer de la douleur qu’elle ressentait encore en se rappelant toute l’histoire du viol et de tout le reste. Elle souhaitait, sans doute, ne retenir qu’une seule chose : elle a gagné. Elle a gagné malgré tout.
Rota est sur le banc des accusés… Elle doit justifier son propre droit à la dignité. Cette démarche est-elle compréhensible ?
Dans la logique des choses, ce n’est pas à la victime de justifier qu’elle n’est pas coupable. Elle a subi toutes sorte de violences, autant physique, morale que sexuelle. Elle n’a pas demandé à les vivre. Mais la société, autant que son bourreau l’ont désigné coupable, méritant amplement « la punition » qu’il lui a infligé, méritant le rejet de la société, méritant de s’enterrer vivante ou tout au plus se terrer de plutôt que de vivre sa vie. Alors, à mon avis, c’est compréhensible, même si ce n’est pas logique.
Dans Zakoa, les images sont parfois dures, insoutenables… Était-il important de raconter avec détail ces blessures de femmes ?
Pour moi, c’était important pour que les autres comprennent ce que les victimes en souffrent. Le ressentit est différent pour chaque victime, mais toutes les fois, la souffrance est toujours palpable. Il n’y a pas longtemps, une patiente d’une quarantaine d’année est venue en larmes me confier qu’elle avait été abusée sexuellement par un membre de sa famille. Mais, qu’elle n’avait pas le courage d’en parler, ni à ses enfants, ni à ses sœurs, ni aux voisins, parce qu’elle était certaine que c’était sur elle que les blâme allaient retomber, parce que personne ne va croire qu’une femme de son âge et de sa taille pouvait être violée. La honte que la famille allait lui infliger serait plus terrible que la douleur et le mal-être qu’elle ressent déjà. Elle a gardé le silence vis-à-vis des autres, mais sa souffrance était réelle. Et si l’on ne la décrit pas, la compréhension devient impossible. Et si l’on ne comprend pas vraiment, on est incapable de soutenir les victimes.
Docteur, le viol n’est pas un sujet nouveau dans la littérature. Mais dans votre roman, tout gravite autour de cet acte horrible…
Comme on dit, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Il a déjà beaucoup de textes et de romans sur le viol. Pourtant, j’avais besoin d’y apporter ma contribution, peut-être pour me soulager la conscience, peut-être pour me convaincre d’avoir fait quelque chose pour faire bouger les lignes, même si ma contribution est réellement infime !
D’après vous, Dr, pourquoi notre société reste-t-elle indifférente face au viol ?
Parce que la majorité des sociétés malgaches et africaines pensent que c’est une affaire privé et que le viol ne concerne pas les autres, uniquement la victime et son agresseur, tout au plus la famille ; ou que le viol est un acte « normal » parce que les filles et les femmes d’aujourd’hui s’habillent de manière de plus en plus « osée » et que cela réveille l’instinct bestial du genre masculin, comme si ravir à une femme ou à une petite fille « quelque chose » qu’elle n’a jamais voulu offrir à son agresseur était un acte normal !
On voit très bien que l’écriture vous habite. A quand remonte ce besoin d’écrire ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit.
Le fait que vous soyez médecin, gynécologue, vous rend-il plus audible sur cette question ?
Probablement pas ! Peut-être, plus crédible, dans la mesure où dans notre société, on ne croit pas que le viol existe vraiment et qu’il peut causer autant de dégât dans la vie d’une victime, autant physique que psychologique.
S.G