Le 5 janvier 1975, le téléspectateur en France découvre en allumant son poste de nouveaux logos à l’antenne: l’ORTF est mort, place à TF1, Antenne 2 et FR3. «Autonomes et entièrement responsables», les trois nouvelles chaînes assureront une «information libre et ouverte», ainsi que l’a affirmé Jacques Chirac en présentant, le 3 juillet 1974, le projet de réforme de l’Office. «La nouvelle organisation doit exclure tout gaspillage, en s’appuyant sur des structures allégées. Les rapports de l’Etat et de nouvelles unités autonomes devraient se limiter à la désignation des dirigeants», poursuivait le Premier ministre.
L’actualité, qui fait ses manchettes sur l’affaire Lip ou l’avortement, et qui vient de constater l’incapacité de l’ORTF à couvrir la maladie puis la mort du président Georges Pompidou, se prête peu pourtant à une émancipation totale de la télévision. Il faudra attendre 1982 pour voir presque coupé le cordon ombilical entre la télévision et le pouvoir politique… L’éclatement de l’ORTF, décidé au cours de l’été 1974, au lendemain de l’élection de Giscard d’Estaing, irrité par l’agitation sociale du personnel tout au long du printemps, a simplement été précipité: il était en germe depuis le projet de réforme de Marceau Long, son président, élaboré à la demande de Georges Pompidou et suspendu par la mort du Président. Ce projet introduit au moins une nouvelle donne: la concurrence entre les chaînes.
La loi votée en toute hâte le 7 août délègue le monopole de diffusion à TDF, et fait éclater l’Office en sept sociétés distinctes: trois sociétés de progammes au capital entièrement détenu par l’Etat (TF1, Antenne 2 et FR3), un établissement public industriel et commercial chargé de la diffusion des programmes et de l’entretien des réseaux, Télé-Diffusion de France (TDF), une société d’économie mixte à participation majoritaire de l’Etat, la société française de production (SFP), et un établissement public chargé des archives, l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Le dossier a été bouclé si vite que ce septième organisme, oublié, sera rajouté au projet de loi dans la nuit précédant le vote au Parlement.
Né le 26 mai 1964 avec le vote d’un projet de loi présenté par Alain Peyrefitte, ministre de l’Information du gouvernement du général de Gaulle, l’Office de la radio télévision française, qui remplace la Radio télévision française (RTF), n’aura vécu que dix ans. Le pouvoir politique n’a jamais désespéré de garder un vrai contrôle sur lui, malgré les grèves fréquentes qui ont démontré la puissance des syndicats au sein d’un organisme comptant quelque 15.000 salariés.
L’Office hérite des mêmes symptômes et des mêmes tentations qui ont marqué sa «préhistoire», pratiquement depuis la naissance de la télévision en France, en 1935. «L’Office? Cela m’a toujours évoqué l’office où l’on sonne les domestiques», ironise le moins politisé pourtant de tous les hommes de télévision, Pierre Tchernia, qui en avait vu d’autres. Sa Boîte à sel, émission de variétés peu suspecte de pantalonnades préjudiciables au pouvoir, comme l’émission d’Igor Barrère et d’Etienne Lalou (Faire Face), pour avoir voulu aborder le thème du racisme en pleine guerre d’Algérie, avaient été supprimées en 1961.
L’histoire ira se répétant, marquée tout au long des dix ans de l’ORTF par les grèves, en particulier de 1968, les chasses aux sorcières et les limogeages comme celui d’Arthur Conte, son dernier président. Dans le même temps, la télévision s’impose comme le plus grand des médias, avec l’apparition d’une deuxième chaîne en 1964, rendue distincte de la première, en 1969, par la création de sa propre unité d’information, puis avec le lancement de la troisième chaîne en couleurs, en 1973. La France dotée de quelque 800.000 postes en 1959, et de plus de 10 millions de récepteurs dix ans plus tard, réalisera avec le Japon, en 1964, la première transmission directe par satellite, à l’occasion de la préparation des Jeux olympiques.
Les téléspectateurs ont même découvert en direct, en 1969, le premier pas sur la lune, et ont plébiscité les débats politiques pendant la campagne présidentielle de 1974. La montée en puissance est si rapide que le projet un temps imaginé, dès 1974 (et défendu par Chirac), de préparer une privatisation partielle des réseaux sera abandonné. Le public a pris goût aux dramatiques télévisées, aux feuilletons, aux présentateurs vedettes: la télévision restera une affaire publique, pour ne pas dire d’Etat…
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