Désengagement de l’Etat de la BHCI: Une privatisation aux relents de coup de force…une cession sous conditions suspensives et une gestion par anticipation

Désengagement de l’Etat de la BHCI: Une privatisation aux relents de coup de force…une cession sous conditions suspensives et une gestion par anticipation

L’Etat ivoirien a décidé de se désengager de la Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire (BHCI). Depuis le 14 janvier 2018, l’Etat ivoirien a signé avec West Bridge Mortgage Reit, une société de droit canadien, une convention de cession de ses parts. Mais avant la cession définitive de la participation étatique, un coup de force savamment bien orchestré s’est opéré, dans la plus grande discrétion, à la tête de cette banque.
Une cession sous conditions suspensives
La décision de privatiser la Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire avait été décidée le 23 décembre 2015 par les autorités ivoiriennes. Et le Cabinet du Premier ministre, ministre du Budget et du Portefeuille de l’Etat, via le Comité de privatisation avait en charge la cession de la participation de 51,6% détenue par l’Etat dans le capital de la Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire. La vente des actions détenues par l’Etat à l’acquéreur WestBridge Mortgage Reit est soumise à des conditions suspensives. Il s’agit entre autres : du paiement d’un montant de 1,290 milliards F CFA, représentant le prix d’acquisition de la participation de 51,6% ; de la recapitalisation de la BHCI à hauteur d’un montant maximal estimé à 6,6 milliards F CFA ; du maintien du personnel et du management ; de la rétrocession de 1% du capital de la BHCI au personnel ; de l’introduction de la BHCI à la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm) entre 2020 et 2021 ; d’un accord avec l’Etat sur le traitement de ses dettes vis-à-vis de la BHCI ; de la décision portant avis favorable de la Commission bancaire de l’Union monétaire Ouest africaine (Umoa), à une demande d’autorisation préalable auprès du ministère de l’Economie et des Finances pour la modification de la structure de l’actionnariat de la BHCI.


S’agissant de la dernière condition, l’article 7 de la convention de cession signée entre l’Etat et la société de droit canadien dit clairement ceci : « La cession ne deviendra effective qu’à l’autorisation de la cession des actions par arrêté du ministre de l’Economie et des Finances, conformément à l’article 39 de la loi bancaire, après avis favorable de la Commission bancaire. » En clair, la signature de la convention de cession des actions entre l’Etat et WestBridge Mortgage Reit ne confère pas à cette dernière la qualité d’acquéreur sans la réalisation des conditions suspensives énumérées dans le contrat de vente des actions. Mais alors que les futurs dirigeants de la BHCI sont encore dans l’attente de l’avis favorable de la Commission bancaire de l’Union monétaire Ouest africaine, leur représentant, JD Diabira va s’immiscer dans la gestion de la banque.
La gestion par anticipation de la BHCI par WestBridge Mortgage Reit
Après la signature de la convention de cession de la participation de 51,6% détenue par l’Etat dans le capital de la BHCI par la société canadienne, les responsables de cette entreprise vont, en attendant la cession effective, manifester leur désir d’avoir un regard très attentif sur la gestion de la banque par les responsables en place. La direction en place donne suite favorable à leur requête. JD Diabira, le représentant de WestBridge Mortgage Reit prétextant de la nécessité de surveiller la gestion de la BHCI par l’équipe dirigeante en place va s’immiscer dans les actes quotidiens de gestion et de fonctionnement de la banque en engageant, sans l’aval du conseil d’administration, des dépenses d’investissement et de fonctionnement, en recrutant et réorganisant le personnel, en octroyant des crédits.


Entre temps, depuis plusieurs mois, après la signature de la convention de cession, les dirigeants de cette banque peinent à réaliser les conditions suspensives et à avoir l’agrément de la Commission bancaire de l’Umoa, une condition sine qua non pour avoir l’autorisation de la cession des actions par arrêté du ministre de l’Economie et des Finances. Face à cette situation, David Amuah, le président du conseil d’administration de la BHCI adresse un courrier de demande d’informations au président du Comité de privatisation. Dans son courrier, celui-ci sollicite l’éclairage du président dudit comité sur « quatre problématiques relatives à la conduite des activités de la banque, en conformité avec la convention de cession des actions de l’Etat à Westbridge Mortgage Reit ».
En réaction à ce courrier, Christian Koffi, le président du Comité de privatisation dans un courrier en date du 22 octobre va se montrer très concis au sujet de la qualité d’actionnaire et de mandataire social de Westbridge Mortgage Reit, en l’état actuel de l’exécution de la convention. « En ce qui concerne la qualité d’actionnaire et de mandataire social de Westbridge, nous vous informons que, conformément aux articles 40 et 41 de la loi bancaire, toute prise de participation ou cession d’au moins 20% du capital est subordonnée à l’autorisation du ministre chargé des Finances, après avis favorables de la Commission bancaire de l’Umoa. Le contrat de cession et d’acquisition a été signé entre l’Etat et Westbridge, sous réserve de la réalisation de ces diligences, qui font partie des conditions suspensives. A notre connaissance, les diligences nécessaires n’ont pas encore été réalisées. Par conséquent, en dépit de la signature du contrat de cession et d’acquisition, la cession des actions à Westbridge n’est pas encore effective. De ce fait, celui-ci n’est ni propriétaire des actions, ni détenteur des droits qui y sont attachés », explique le président du Comité de privatisation.
Très réconforté par les éclairages de Christian Koffi, David Amuah va, dans une correspondance intitulée « Conformité des actions de Westbridge en rapport avec la convention de cession entre l’Etat de Côte d’Ivoire et Westbridge et respect des engagements pris par Westbridge » adressée à JD Diabira l’informer de ce que : « jusqu’à la cession effective des actions de l’Etat à Westbridge, aucun représentant de Westbridge ne sera autorisé à poser des actes de gestion pour le compte de la BHCI et parler en son nom ; la présence des représentants de Westbridge dans les locaux de la banque devra être préalablement autorisée par moi-même ; un audit des actes de gestion posés par les représentants de Westbridge sur les 9 mois passés sera réalisé afin notamment d’identifier toutes les dépenses ʽʽimposées ʼʼ par Westbridge, les comptabiliser en créance sur Westbridge, et en obtenir le remboursement conformément à son engagement du 08/05/2018. » Cet affront fait au représentant de WestBridge Mortgage Reit, le président du conseil d’administration de la BHCI va le payer cher. Il va être éjecté de son poste par des administrateurs lors d’une assemblée générale mixte des actionnaires, illégalement convoquée.
Retour sur une révocation bizarree
N’étant pas conforme à la décision de la Commission bancaire de l’Union monétaire Ouest africaine relative au capital social minimum des établissements de crédits des Etats membres de l’Umoa, la BHCI a été blâmée et injonction lui a été faite par ladite commission à l’effet de « se conformer à la norme de capital social et à sa représentation par des fonds propres de base ». Afin de satisfaire aux injonctions de la Commission bancaire, David Amuah décide, dans un courrier datant du 16 octobre 2018, de convoquer une assemblée générale mixte le 30 octobre pour décider de l’augmentation du capital social de la banque. Mais au regard des difficultés de WestBridge Mortgage Reit à réaliser les conditions suspensives du contrat de cession des actions de l’Etat, de l’intervention de son représentant dans les actes quotidiens de gestion et de fonctionnement de la banque et suite aux éclairages du président du Comité de privatisation et aux observations de l’avocat conseil de la BHCI, le président du Conseil d’administration de ladite décide, dans un courrier du 24 octobre, d’annuler l’assemblée générale mixte.


Ce courrier est non seulement notifié à la Présidence de la République, à la Primature, au ministre de l’Economie et des Finances, au président du Comité de privatisation mais aussi aux différents actionnaires de la banque. Mais 48 heures après, soit le 26 octobre, Vidjagnani Antoine, le président du conseil d’administration de la société Demack-SA dont David Amuah est le représentant permanent à la BHCI, décide le révoquer. La raison de cette sanction sans appel ? « Nous avons eu connaissance de ce que la Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire (BHCI) projette une opération de recapitalisation afin de satisfaire aux injonctions de la Commission bancaire. Dans ce cadre, une Assemblée générale a été convoquée pour le 30 octobre 2018, aux fins de décider d’une augmentation du capital social. En ma qualité de Président du conseil d’administration de DEMACK SA, actionnaire majoritaire détenant 35% du capital de la BHCI, je n’ai reçu aucune information sur cette opération…Vous ne pouvez donc pas de votre propre chef prendre l’initiative d’une telle décision, sans en avoir au préalable reçu l’assentiment du conseil d’administration…Pour les raisons ci-dessus évoquées, je me vois en ma qualité de Président du conseil d’administration dans l’obligation de prendre des mesures en vue de préserver les intérêts de DEMACK SA. En conséquence, je vous notifie, par la présente la révocation des trois (03) représentants permanents de l’administration de DEMACK SA au conseil d’administration de la BHCI… », justifie courageusement Vidjagnani Antoine. Et pourtant selon les informations du pachyderme, c’est en violation de la législation sur les sociétés commerciales de l’Ohada que celui-ci a mis fin aux fonctions de David Amuah.
Qui a donc convoqué et présidé cette assemblée générale ? Voilà autant de questions que se pose « L’Eléphant Déchaîné ». De nouveaux administrateurs, représentant WestBridge Mortgage Reit et Demack Sa vont être nommés au cours de cette assemblée générale mixte tenue en l’absence de plusieurs administrateurs y compris ceux de l’Etat ivoirien, selon certaines indiscrétions. Parmi les nouveaux administrateurs de Demack Sa, figure étrangement Vidjagnani Antoine.
Fait incroyable, ladite assemblée générale tenue le 30 octobre a curieusement fait l’objet de communiqué de presse dans le quotidien gouvernemental, « Fraternité Matin » dans sa parution du 30 octobre. Quelle coïncidence déconcertante !
Par ailleurs, il a été décidé au cours de cette assemblée générale de la recapitalisation de la banque pour qu’elle soit en conformité avec les prescriptions réglementaires de la Commission bancaire de l’Umoa. Le jour suivant, le 31 octobre, les nouveaux administrateurs réunis en conseil d’administration ont élu James Clayton, président du conseil d’administration de WestBridge Mortgage Reit en qualité de nouveau président du conseil d’administration de la BHCI. Voilà qui tourne ainsi, de force, la page David Amuah !
Les autorités ivoiriennes complices de ce coup de force bien ficelé ?
Dans un échange de courriers électroniques entre JD Diabira, le représentant de WestBridge Mortgage Reit et Bazié Ghislaine et Koyo Sylvestre, tous deux des avocats, le 15 octobre, l’infernal quadrupède a pu se rendre compte que la situation actuelle à la BHCI semble avoir été bien planifiée. En effet, dans un échange de courriers électroniques entre ces trois personnes, celles-ci évoquent clairement l’irrégularité de l’Assemblée générale mixte et le conseil d’administration en préparation et le risque de leur annulation ainsi que les actes subséquents. Parcourons ensemble leurs échanges confidentiels. « Le PCA vient de me transmettre une copie du contrat de cession et d’acquisition d’actions signé entre l’Etat et Westbridge. Je voudrais attirer votre attention sur l’article 7 relatif aux conditions suspensives, sur l’article 8 portant sur la date de cession et sur l’article 9 sur les documents à remettre à la date de cession. L’article 7 stipule expressément que la cession ne deviendra effective qu’à l’autorisation de la cession des actions par arrêté du ministre de l’Economie et des Finances, conformément à l’article 39 de la loi bancaire, après avis favorable de la Commission bancaire. L’article 8 précise que la date de la cession intervient 3 jours au plus tard suivant la date de réalisation des conditions suspensives. Et l’article 9 mentionne que la remise des lettres de démission des administrateurs représentant l’Etat, la BNI et la SICOGI devra intervenir à la date de cession. En tenant compte de ces stipulations, il pourrait s’élever des contestations sur la régularité de la réunion du conseil d’administration de ce jour, ainsi que l’assemblée générale subséquente du 30 octobre, puisqu’à ma connaissance ; sauf la BNI a démissionné de son poste d’administrateur. Je me tiens à votre disposition pour en discuter. Bien cordialement », débute Me Koyo. « Bonnes observations Maîtres. Nous avançons vers l’AG de la fin du mois, avec la supposition que les lettres de démission seront en place. Et j’ai déjà soulevé cette question auprès du Premier ministre et du Ministre des Finances. Selon ces deux, le Ok de la Commission bancaire n’est pas un obstacle à la tenue du C.A. avec la structure nouvelle. L’autre aspect, peut-être plus important est que la banque a un besoin urgent d’être recapitalisée vite et si il faut attendre un avis de la CB en décembre, on sera obligée de dissoudre la banque entretemps, puisque ses fonds propres ne tiendront pas. Donc, entre deux types de risques (celui d’une AG juridiquement imparfaite et celui d’une faillite de la banque) vous imaginez bien que tenir une réunion de CA et une AG dans ces circonstances est un bien moindre risque. Dnc, on y va avec les deux évènements à tenir…la CB, on s’en occupe en temps venu, tant qu’on a rempli toutes les conditions qu’ils nous demandent pour notre dossier, ce qui est fait. Je suis à votre disposition et vous remercie », réplique JD Diabira. « Bonjour tous, j’ai bien noté les observations de Me Koyo et celles de JD. Est-ce que les CA et AG envisagés ne risquent-ils pas une annulation de même que les décisions qui suivront ? » S’interroge Me Bazié Ghislaine. « Possible : mais le risque de faillite bancaire est considérablement plus grand », explique JD Diabira.
Tout porte à croire que les plus hautes autorités étatiques étaient bien au parfum de ce coup de force à la présidence du conseil d’administration de la BHCI.

NOËL KONAN, L’ELEPHANT DECHAINE DU MARDI 15 JANVIER 2019

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