C’est indéniable, l’arène politique ivoirienne est en ébullition. Depuis l’annonce, par Alassane Ouattara, de sa volonté de briguer un troisième mandat d’affilée jugé anticonstitutionnel par la quasi-totalité de l’opposition, jusqu’à la présidentielle du 31 octobre dernier, la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens semblent voguer sur des rapides, avec à cœur que la chute peut survenir à tout moment. Les effets de la désobéissance civile qui s’est muée en boycott du scrutin présidentiel se sont fortement ressentis sur le vote et les affrontements qui s’en sont suivis ont causé la mort de 85 personnes, selon les chiffres officiels. Cependant, les conditions désastreuses dans lesquelles l’élection s’est déroulée n’ont pas empêché la Commission électorale indépendante (CEI) de déclarer le président sortant vainqueur avec près de 95% des suffrages exprimés.
Alassane Ouattara, entouré des indécrottables barons du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la coalition au pouvoir, le bâton de la répression en main, est parvenu à venir à bout de l’éphémère Conseil national de transition (CNT) à coups d’intimidation et de musellement. Après avoir reçu les félicitations de ses pairs et surtout celle conditionnée d’Emmanuel Macron, président de la France, puissance tutélaire, et un séjour du brave sur les bords de la Seine, ADO est rentré en Côte d’Ivoire où se prépare son investiture prévue pour le 14 décembre prochain.
De son côté, Henri Konan n’aura pas autant mérité son pseudonyme de « Sphinx de Daoukro » qu’au sortir des moments de braise qui ont suivi la création du CNT dont il avait pris les rênes dès la création. Sans jamais faiblir face au blocus instauré par le régime autour de sa résidence d’Abidjan, l’arrestation puis la mise en réclusion de son porte-parole, Pascal Affi N’Guessan, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire a réussi à soumettre Alassane Ouattara avec qui il a ouvert, à l’issue d’une rencontre, des négociations pour lesquelles il est loin de servir de faire-valoir. Au sortir de cette épreuve, Henri Konan Bédié s’est racheté une notoriété et une sympathie aussi bien chez ses militants qu’auprès de nombreux Ivoiriens qui partagent ses prises de position. Alors qu’au sein du vieux parti, des velléités de mise à la retraite d’Henri Konan Bédié étaient de plus en plus perceptibles, il faut croire que la gestion de la crise postélectorale par l’ancien chef de l’Etat lui a permis de changer la donne en sa faveur à tel point que tous les jeunes loups en embuscade ont rangé leurs crocs. Aujourd’hui, tout ambitieux qui prétendrait remettre en question l’autorité de Bédié, sera perçu comme un régicide qui doit s’attendre aux foudres des cadres et militants du parti vert et blanc.
A gauche, la remise à l’ancien président Laurent Gbagbo de ses passeports ordinaire et diplomatique par les autorités ivoiriennes, qui précise le retour au pays de celui dont le procès en appel est en suspens à la Cour pénale internationale (CPI), ravive des craintes pour certains et accroît l’espoir pour d’autres. Déjà, l’on se pose des questions, avec le retour de Laurent Gbagbo, sur le sort des Refondateurs qui ont choisi, à un moment de l’histoire, de prendre la voie de l’émancipation vis-à-vis de l’aura pesante du fondateur du parti. Affi et ses lieutenants qui ont proposé une nouvelle charte managériale du parti à la rose se sont attirés la colère de ceux qui sont devenus, entre-temps, les « Gbagbo ou rien (GOR) » qui espèrent que la venue de Laurent Gbagbo sonne le glas pour Affi et les siens.
On l’aura compris, les deux passeports remis à l’ancien président ivoirien vient reconstituer le schéma triangulaire de la politique en Côte d’Ivoire qui est de mise depuis plusieurs décennies : Ouattara-Bédié-Gbagbo. L’émotion compréhensible née de l’annonce du retour de Laurent Gbagbo ne doit pas occulter les véritables et urgentes questions que pose cette donne politique. La reconstitution du schéma politique ivoirien, qui jadis n’a pas fait que du bien, est-elle dans l’intérêt ? Est-ce une bonne ou mauvaise chose que ces trois personnalités soient à nouveau réunies dans le pays ? Certainement que l’avenir donnera des éléments de réponse objectifs à ces interrogations mais pour l’heure, il ne faut pas occulter que cette situation porte un coup au renouvellement générationnel de la classe politique tant souhaité par les Ivoiriens. Qu’à cela ne tienne ! Peut-être faut-il refaire confiance à ces trois personnalités, tout en espérant qu’en retour, elles intègrent véritablement le rôle qui est le leur : jouer de leur aura pour donner une chance à la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire. Faire du neuf avec du vieux, c’est l’offre, sous forme de challenge, que propose le schéma triangulaire de la politique ivoirienne.
par Serge YAVO