Côte d’Ivoire-Parlement des enfants: Où va le budget de 12 à 24 millions francs Cfa ? Les révélations de L’Eléphant déchainé
L’officialisation du Parlement des enfants de Côte d’Ivoire (PECI) en 2013, après 21 ans d’existence, par décret présidentiel, a allumé un phare d’espérance au sein des travailleurs de cette institution. Hélas cette entité n’existe désormais que de nom depuis 2015, n’ayant pas connaissance de l’existence de son budget pourtant estimé à 12 ou 24 millions Frs Cfa selon la ministre Anne Ouloto.
Trois années que le Parlement des enfants a cessé de fonctionner. Une inertie datant de septembre 2015 et rimant avec le départ de la ministre Anne Ouloto du ministère en charge de la Protection de l’enfant, désormais à la tête de celui de l’Assainissement et de la Salubrité. Le point d’achoppement réside au niveau de l’usage du budget de cette institution créée par décret présidentiel n°2013-857 du 19 décembre 2013, estimé à 12 millions Frs Cfa selon la ministre Anne Ouloto, du moins de son existence. Car la direction de la protection de l’enfant, sous la tuelle du ministère en charge de l’enfant, s’occupant directement dudit Parlement, soutient ne pas avoir connaissance de l’existence de ce budget. Les investigations du pachyderme ont permis de découvrir le budget du directeur de la protection de l’enfant, estimé à 7 millions francs Cfa, donc en déça des 12 millions Frs Cfa destinés au Parlement des enfants. Par ailleurs, l’ex-ministre en charge de l’enfant, Anne Ouloto, a annoncé, au cours de son allocution à l’occasion de la commémoration de la journée de l’Enfant Africain en le 16 juin 2015, à la Bourse du travail, à Abidjan, que le budget du Parlement des Enfants serait doublé, passant de 12 à 24 millions Frs Cfa. Information qu’elle confirme la même année lors d’une session parlementaire des enfants à Yamoussoukro. Il va sans dire que ce budget cumulé de 2016 à 2018 s’élève à 36 voire 72 millions Frs Cfa. Une manne financière dont la destination reste inconnue.
Les demandes d’audience de L’Eléphant déchaîné pendent depuis plusieurs mois sur les bureaux des différents ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de la famille, de la femme et de l’enfant. Les différents responsables sollicités n’ont pas jugé utile de leur accorder une suite favorable.
Reçus mercredi 12 décembre 2018 par le ministère de l’Assainissement et de la Salubrité suite à notre demande d’audience datant d’une semaine, nous poussions un ouf de soulagement lorsque notre interlocuteur, le chargé des études, dit vouloir nous écouter au nom de la directrice de cabinet. La ministre Anne Ouloto ayant, dit-il, un programme très chargé. « Nous ne pouvons pas répondre sur certaines thématiques qui ne relèvent plus de nos attributions », a fait savoir un interlocuteur de la ministre Mariatou Koné, anciennement au ministère de la femme, de la protection de l’enfant et de la solidarité. Une nouvelle forme de solidarité gouvernementale qui privillégie l’opacité et éloigne les citoyens de la vérité sur la fin du budget du Parlement des enfants élévé à 12 ou 24 millions francs Cfa.
Actions avant le blackout
Si l’institution existe depuis 1992, c’est en 2013 que le Président Alassane Ouattara lui attribue une stature officielle. 91 enfants délégués parlementaires élus de toutes les régions et des communes du district d’Abidjan (34 garçons et 57 filles) tentent de mettre leurs petits pas dans ceux des membres de l’hémicycle. Lath Akafou Grace Marie Esther, 14 ans, élève au secondaire dans le département d’Issia, présidait aux detinées de cette institution pour le mandat 2014-2017. Son mandat étant à son terme, le renouvellement des membres de l’institution se fait toujours attendre. La date de l’Assemblée générale élective (session inaugurale du nouveau mandat), ayant été reportée à cinq (5) reprises pour manque de budget. Ainsi, le plan d’action, produit par les ‘‘honorables parlementaires’’ lors de la session inaugurale du 24 juillet au 8 août 2014 à Bingerville, ne peut connaître une exécution. La mission assignée aux enfants parlementaires est de mener des actions d’information, de sensibilisation auprès des autres enfants, des parents, des pouvoirs publics et de la société civile pour l’amélioration de leur bien-être physique, social et économique, conformément à l’article 3 du décret N°2013-857 du 19 décembre 2013.
Pour sa part, la direction de la protection de l’enfant, du ministère de la famille, dit s’être saignée aux quatre veines pour doter l’institution d’un siège au village SOS d’Abobo. Un modeste bureau de 12 m2, fruit d’un lobbying auprès des institutions partenaires dont l’Unicef. L’obtention du siège au village SOS d’Abobo est symptômatique du désintérêt que les autorités ivoiriennes accordent à cette institution pourtant créée par décret présidentiel. Bien que l’existence du siège soit précisée par l’article 2 dudit décret, la demande est venue des enfants. « Ce sont les enfants eux-mêmes qui fait la demande aux responsables du village SOS d’Abidjan. Ceux-ci, à leur tour, ont adressé un courrier au ministre Mariatou Koné, alors à la tête du ministère de la femme, de la protection de l’enfant et de la solidarité. Le cabinet de la ministre a demandé à la direction de la protection de l’enfant de contacter l’UNICEF pour l’équipement de ce petit bureau de 12 m2. », Révèle une source.
Une visite au sein du village SOS d’Abobo a permis de constater que ce bureau reste fermé. Les enfants ‘‘députés’’n’y sont plus réguliers par manque de moyens de transport. Ils n’y vont que lorsqu’ils sont invités par le village SOS d’Abidjan à l’occasion de ses activités. Naturellement, leur déplacement est à la discrétion des responsables cette structure qui les invite. Pourtant, conformement aux articles 8 et 9 du décret qui l’institue, cette institution des enfants fonctionne au niveau national sur un budget mis en place par l’Etat. « Je ne sais rien des questions de budget relatives au Parlement des enfants. Mon budget ne mentionne nullement le Parlement des enfants. Quand les parlementaires doivent se réunir, il faut un minimum. Mais ce minimum n’existe pas. En ce qui relève de l’Assemblée générale élective du Président du Parlement, je ne sais plus à qui écrire pour demander des fonds. Mais il n’y a aucune réaction. », regrette M. Lath, directeur de la protection de l’enfant. A l’en croire, les enfants parlementaires sont associés à d’autres activités (formations, renforcement de capacités…) dont les thèmes se rapportent à la protection des enfants (phénomène des enlèvements d’enfants, mariages précoces d’enfants, grossesses en milieu scolaire, suppression de la chicote à l’école, promotion de l’excellence à l’école, rôle des enfants dans la cohésion sociale..). Une mesure visant à combler le manque d’activité.
Pour l’heure, c’est la croix et la bannière pour ces enfants parlementaires qui regardent impuissamment leur organisation disparaître. Dans des courriers en date du 1er septembre 2016, adressés à plusieurs chefs d’institutions dont leur ‘‘grand père’’ le médiateur de la République ou encore, la présidente de la Commission nationale des droits de l’homme, l’honorable Lath Akaffou Grace Marie Esther dépeint les difficultés rencontrées par l’institution qu’elle préside. Du recours à leurs parents pour l’obtention des moyens financiers en vue des déplacements, à l’annulation de la session parlementaire de Grand-Bassam en 2016, les cris de cœur des enfants parlementaires restent inaudibles car aucune institution étatique ne vole à leur secours. Il en résulte une grosse désillusion des enfants et des parents qui réfusent désormais d’associer leurs enfants aux ‘‘activités’’ dudit Parlement notamment les parades lors des journées internationales de l’enfant.
En somme, un décret présidentiel foulé aux pieds, une institution créée par décret présidentiel, dotée d’un règlement intérieur, d’un statut, mais non associée à la conception et à la gestion de son budget estimé à 12 ou 24 millions Frs Cfa. Sur cette question, des reponses claires et précises sont toujours attendues de la ministre Anne Ouloto.
CYRILLE NAHIN, L’ELEPHANT DECHAINE N°627