Le député Loukimane Camara, Secrétaire National (SN) du Rassemblement des républicains (RDR) chargé de la promotion des cadres du parti, croque l’actualité sociopolitique en Côte d’Ivoire. Il dit sa part de vérité sur la création du parti unifié, les rapports brumeux entre le Rdr et le Pdci, la candidature de Guillaume Soro à la présidentielle de 2020, les élections municipales et régionales à venir…Il n’y va pas de main morte !
Il y a quelques mois, vous avez clairement refusé de faire partie d’un éventuel groupe parlementaire Rhdp, et réaffirmé votre appartenance au groupe parlementaire de votre parti, le Rdr. Aujourd’hui, avec la création du parti unifié Rhdp, maintiendrez-vous votre position si le groupe parlementaire de ce nouveau parti se mettait en place?
Merci pour cette question. Je crois effectivement avoir été très clair là-dessus. Le Rdr crée-t-il un nouveau parti ? Le Rdr est-il la filiale ou la holding ? Dans tous les cas, l’adhésion à un parti politique est un acte individuel et libre. Si je ne peux m’opposer à la création d’un parti unifié, je peux en revanche exercer mon droit constitutionnel de ne pas y participer. N’étant pas militant du parti unifié, je ne serai donc pas membre du groupe parlementaire qui représentera cette force politique au Parlement. Si le groupe parlementaire Rdr venait à disparaître, je serai un député «non – inscrit», ou bien je m’engagerai avec un autre groupe parlementaire de mon choix. Nous sommes prêts avec certains collègues à former un groupe parlementaire proche du Rhdp, groupement politique.
On pourrait vous rétorquer que vous avez été élu sous la bannière Rdr et Rhdp. Si le Rdr migre dans un groupe parlementaire, vous devriez suivre par discipline du parti. N’est-ce pas?
La discipline est essentielle pour la survie à long terme d’organisations comme les partis politiques. Mais je suis député de la nation et non du Rdr. Au Parlement, je ne réponds plus que devant le peuple de Côte d’Ivoire. On me démettrait de mon poste de «Secrétaire national chargé de la Promotion des cadres du parti », que je n’aurais rien à dire. Par contre, ma position dans l’hémicycle dépend de moi et de moi seul. Au demeurant, le Rdr n’existera plus sous peu. Le mandat porté par son entregent, est ma part dans le combat. Les comptables disent « Bon de liquidation », c’est à dire la part revenant aux actionnaires après la liquidation du parti. La notoriété du Rdr a été une ouvre collective, la sueur et le sang de tous les militants.
Le Rhdp a été transformé en parti politique sans le Pdci, le principal allié du Rdr. Quel commentaire?
J’avais déjà conseillé aux responsables du Rdr, dans mes précédentes contributions, d’ouvrir, en tant que disciples du président Félix Houphouet-Boigny, le dialogue avec le Pdci, sur l’alternance et le parti unifié. Il est évident que le Rdr ne peut rassembler la Côte d’Ivoire sans le Pdci, le parti d’Houphouët Boigny, le parti de nos pères. Vous voyez bien que le parti unifié a divisé le Pdci et le Rhdp qui a gagné les élections de 2010 et 2015. Une unité qui divise n’est pas spirituellement bonne pour le pays.
Le chef de l’Etat Alassane Ouattara, président du Rdr, a été élu président du parti unifié Rhdp. Et il a appelé le président du Pdci, Henri Konan Bédié, à se joindre à lui, pour passer le pouvoir à une nouvelle génération en 2020. Quelle est votre compréhension de cette affirmation ?
Je n’ai rien compris à ce discours du président du Rhdp unifié. Le Rdr l’a imploré, à l’effet de reprendre la tête du parti et réconcilier l’aile Guillaume Soro et Amadou Gon. Il a poliment décliné l’offre et nous a proposé la Tantie Henriette Diabaté, que nous aimons bien. Il prend la direction du parti unifié dans lequel va se fondre le Rdr. Le professeur Henriette Diabaté n’est plus présidente de parti. Le président Henri Konan Bédié, président du présidium du Rhdp, est déchu subtilement, victime d’un second coup d’État dans sa carrière politique !
Où voulez-vous en venir ?
Parcourons ensemble une brève histoire des organisations politiques sous la cinquième République en France : De Gaulle a créé le Rassemblement pour la France (Rpf) pour revenir au pouvoir en 1958. Giscard a créé l’Udf en 1974 pour conquérir et exercer le pouvoir; Jacques Chirac le Rpr en 1976, et le président Sarkozy l’Ump en 2007. A gauche, Mitterand a créé et exercé le pouvoir avec le parti socialiste. Ces partis n’ont pas survécu à leurs mentors. Chez nous, le président Laurent Gbagbo a créé le Fpi, parti avec lequel il a conquis et exercé le pouvoir. Il en est de même du président Alassane Ouattara avec le Rdr. Le président Sarkozy a tenté de revenir au pouvoir avec « Les Républicains », et il a échoué. Le président Alassane Ouattara veut-il continuer le pouvoir après 2020 avec le Rhdp unifié ? Aux lecteurs de tirer les conclusions pertinentes.
Et vous, quelles conclusions en tirez-vous ?
La nouvelle génération n’attend pas d’héritage. Elle est suffisamment bien formée, suffisamment mature pour créer toute organisation capable de l’accompagner à la conquête et à l’exercice du pouvoir d’Etat. Le président Macron l’a fait avec le mouvement « En Marche ». Nous le ferons avec des mouvements portés par les réseaux sociaux. Les partis politiques à l’ancienne sont en fin de cycle. Si la Côte d’Ivoire veut se singulariser positivement, nous gagnerons à sauver le seul parti historique qui nous reste sur le continent, après l’Anc, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), fondé par nos pères et le président Houphouet Boigny pour porter le combat contre la colonisation. Ce combat rentre dans l’histoire positive de notre pays, et nous pourrions en faire un atout culturel, historique et touristique.
L’actualité politique a été aussi marquée récemment par les violences survenues à Korhogo où un militant du Raci a trouvé la mort à la suite de l’attaque d’une réunion à laquelle il devait prendre part. Qu’en dites-vous ?
Hélas regrettable ! L’histoire récente du multipartisme dans notre pays nous enseigne ceci : Le jeune collégien Domin Achi a été assassiné en 1990 à Adzopé, pour empêcher le Fpi d’exister. Ce parti a conquis et exercé le pouvoir d’Etat en 2000. Le Rdr, le parti de l’opposant Alassane Ouattara, a été interdit de meeting à Dabou en 1999. Aujourd’hui, il dirige ce pays avec le même Pdci. Les statisticiens savent où je veux en venir. Les mêmes phénomènes se reproduisent tous les quarts de siècle (vingt-cinq ans et environ). Les nombres en sont les meilleurs signifiants et indicateurs. C’est en cela que ce sont les statisticiens qui les perçoivent. Il faut les consulter et les écouter. Les politiques ne voient pas ces phénomènes, non pas par cécité, mais parce que le pouvoir ferme le cour à certains phénomènes de la vie.
Relativement à la présidentielle de 2020, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, sur France 24, a dit vouloir réfléchir sérieusement à sa candidature. Le voyez-vous candidat ?
Tout dépend de lui. Réfléchir est un acte normal de la vie : évaluer ses forces et faiblesses, et bâtir une stratégie gagnante. Il a dirigé avec succès une organisation politique et militaire, les Forces Nouvelles. Il a dirigé le ministère de la défense de Côte d’Ivoire. Il a pu se réconcilier, sincèrement, avec celui contre qui il a porté le glaive, le président Laurent Gbagbo, et dans le cadre du Cpc (Cadre permanent des concertation, Ndlr), a réussi l’organisation des élections générales de 2010. Il a été Premier ministre de Côte d’Ivoire, avec succès, sous les présidents Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. C’est une source de légitimité historique, s’il parvenait un jour au pouvoir en tant que chef d’Etat. Ce serait un manque d’ambition s’il ne réfléchissait pas à la question. Cela dit, Jacques Delors a été très brillant. Il a construit l’Europe avec la commission européenne, mais il a refusé de répondre à l’appel des socialistes français en 1995, au moment où il était la personne la mieux indiquée. Le combat politique est une décision personnelle et individuelle.
Les élections municipales et régionales sont prévues officiellement pour le 13 octobre prochain. Comment appréhendez-vous ces scrutins ?
Comme toutes les autres élections. Les Ivoiriens sont matures et ne se laisseront plus manipuler par des discours du genre : « Si on perd le pouvoir, c’en est fini pour notre espèce ! » Ce disque est rayé et tout le monde voit clair. Ce serait malheureux que nous ne puissions pas tirer les bonnes leçons, au plan national et local, sur cette longue crise politique et sociale que le pays a vécue. Aussi, avons-nous, dans le Bounkani, décidé une répartition des postes, en sorte qu’il y ait moins de frictions. Je soutiendrai donc des candidats Rdr ou Pdci, s’ils étaient les candidats issus de l’arbitrage local en cours.
Êtes-vous candidat à une de ces élections couplées ?
Non, je suis député. D’autres cadres nous représenteront pour les municipales et régionales. Le cumul de postes n’est pas un bon facteur de cohésion sociale. En plus, ce n’est pas un facteur d’efficacité. Par contre, c’est un moyen de création et de maintien de barrons locaux. A nous de choisir.
Réalisée par BAMBA Idrissa
Soir info – Publié le: 31-07-2018 – Mise-à-jour le: 31-07-2018 – Auteur: BAMBA Idrissa
1 comment
bonne analyse emprunt de lucidité