C.I/ POLITIQUE: APRES LA DÉCISION DE LA JUSTICE AFRICAINE: Les avocats de l’Etat de Côte d’Ivoire brise les espoirs de Guillaume Soro. L’intégralité de leur déclaration

Mesdames et Messieurs de la presse,

Courant Mars 2020, Monsieur SORO Kigbafori Guillaume et 18 autres personnes, tous
inculpés pour diverses infractions, ont saisi la Cour Africaine des droits de l’Homme et des
Peuples dont siège à Arusha en Tanzanie, de deux requêtes formulées contre la République
de Côte d’Ivoire.

La première requête, encore pendante devant cette Cour, vise selon eux à voir constater la
violation de certains de leurs droits garantis par divers instruments internationaux, dans le
cadre des procédures pénales suivies contre eux devant les juridictions nationales et, en
conséquence, voir annuler tous les actes de ces procédures, mettre fin à leurs poursuites
et condamner l’Etat de Côte d’Ivoire à payer à chacun d’eux la somme d’un milliard de
Francs à titre de dédommagement.

Dans leur seconde requête, ils sollicitent la prise à leur bénéfice de mesures provisoires
visant à ordonner à la République de Côte d’Ivoire, de :
– « surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt émis contre Monsieur SORO Guillaume
– suspendre l’exécution des mandats de dépôt décernés contre les 18 autres
personnes et de les mettre en liberté ou permettre l’exercice plein et entier de leurs
droits politiques et civils dans l’attente d’une décision de la Cour sur le fond.
– faire rapport à la Cour dans un délai de 15 jours à compter de la date de réception
de l’ordonnance, sur les mesures prises en vue de son exécution. »

C’est vidant son délibéré sur cette seconde requête portant mesures provisoires, que la
Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a rendu, ce 22 avril 2020, une
ordonnance aux termes du dispositif de laquelle la Cour ordonne à l’Etat de Côte d’Ivoire :
 de surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt émis contre Monsieur SORO
Guillaume ;
 de surseoir à l’exécution des mandats de dépôt décernés contre les 18 autres
personnes et de les mettre en liberté provisoire ;
 de faire un rapport à la Cour sur la mise en œuvre des mesures provisoires
ordonnées dans la présente décision dans un délai de 30 jours, à compter de
la date de sa réception. »
Pour parvenir à une telle décision, la Cour Africaine s’est, pour l’essentiel, appuyée sur les
motifs suivants :
− L’exécution des mandats d’arrêt ou de dépôt contre des personnalités
politiques dont l’une est pressentie pour prendre part à la compétition
électorale, et à quelques mois seulement (moins de six mois) de ces échéances
électorales, risque de compromettre gravement l’exercice des libertés et des
droits politiques des Requérants (§35) ;
 En raison de leur situation sociale et professionnelle, les Requérants ont des
adresses bien connues, après avoir noté qu’il est de principe que tout mandat
d’arrêt ou de dépôt est décerné lorsque les accusés ne présentent pas assez
de garantie pour comparaître par eux-mêmes devant les juridictions nationales ;

 Étant donné que le doute et la présomption d’innocence bénéficient à l’accusé,
le sursis à l’exécution des mandats de dépôt est une mesure qui préserve les
intérêts de tous et qui évite d’aboutir à des conséquences graves et
irréparables .
Nous prenons acte de cette décision qui, ainsi que la Cour l’indique expressément « pour
lever toute ambiguïté, … est de nature provisoire et ne préjuge en rien les conclusions que
la Cour formulera sur sa compétence, la recevabilité et le fond de la requête introductive
d’instance ».

La décision de la Cour reste donc attendue sur sa compétence, sur la recevabilité de la
requête ainsi que sur le bien-fondé de ladite requête.
Il appartient donc à notre Client, l’Etat de Côte d’Ivoire, de se déterminer ainsi qu’il avisera
relativement à une telle décision dont les motifs et le dispositif nous inspirent cependant
quelques interrogations qui se posent légitimement à tout praticien du droit :

1- Devons-nous retenir de cette décision de la Cour que désormais, à moins de six
mois des échéances électorales, aucune personnalité politique appartenant ou se
réclamant d’un parti ou d’un groupement politique, ou même une personne
pressentie pour faire acte de candidature, ne doit plus être provisoirement privée
de liberté dans le cadre d’une information judiciaire pénale en cours contre elle et
ce, sans égard à la gravité des faits reprochés et aux motifs de cette privation
provisoire de liberté ?
2- Le Commissaire de Police SORO Porlo Rigobert, également bénéficiaire de cette
décision et ses mêmes motivations, est-il une personnalité politique dont les
libertés et droits politiques se trouvent compromis du fait du mandat de dépôt
décerné à son encontre comme indiqué par la Cour ?
3- L’exercice des libertés et droits politiques, ou même une intention de candidature,
constitue-t-il désormais un fait justificatif faisant obstacle à la détention provisoire
d’une personne inculpée dans le cadre d’une procédure judiciaire engagée pour toute
infraction à la loi pénale à l’approche de la période électorale ?
4- La Cour qui est reconnue pour exercer une compétence subsidiaire peut-elle, sans
être en possession de tous les éléments ou pièces d’un dossier d’information
judiciaire en cours dans un Etat, se substituer aux juridictions nationales compétentes
pour déterminer, en lieu et place de ces dernières, l’opportunité d’un mandat de dépôt
ou d’arrêt décerné contre des personnes y inculpées ?
5- Le fait, pour une personne poursuivie devant un juge d’instruction, d’avoir une
adresse bien connue, suffi- t-il pour considérer qu’une telle personne présente des
garanties suffisantes de représentation, surtout lorsque celle-ci est poursuivie pour
des faits pour lesquels elle risque jusqu’à 20 années d’emprisonnement ferme ?
6- La législation ivoirienne, en l’occurrence le Code de procédure pénale en son
article 163, prévoit les objectifs pour lesquels la détention préventive peut être
prononcée. Il en va ainsi de la nécessité de conserver les preuves ou les indices matériels,
d’éviter une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille, d’éviter
une concertation frauduleuse entre la personne inculpée et les autres auteurs ou
complices, de mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement, ou encore
de garantir le maintien de la personne inculpée à la disposition de la justice.

Alors que cet article 163 du Code de procédure pénale est en vigueur, pour n’avoir
été ni abrogé ni même déclaré contraire aux droits de l’Homme, la Cour peut-elle en
méconnaître les dispositions pour réduire la détention préventive au seul objectif de
garantir la représentation de l’inculpé ?
7- La présomption d’innocence telle qu’invoquée dans cette décision, constitue-t-elle
un obstacle juridique à la prise à l’encontre d’un inculpé par un juge d’instruction, d’une
mesure provisoire de restriction de liberté fondée sur les nécessités de l’information
judiciaire dans le cadre d’infractions aussi graves que celles poursuivies ?
De même, le doute peut-il se concevoir, en dehors de la phase de jugement, à
l’encontre de l’autorité chargée de l’enquête judiciaire ? Cette sorte de doute invoqué
en sus par la Cour, peut-elle valablement être un frein à la prise, par un juge
d’instruction, d’une telle mesure provisoire de privation de liberté dans ce même
cadre?
8- Les conséquences graves et irréparables invoquées au bénéfice des inculpés par
la Cour, peuvent-elles prévaloir, au détriment de la sécurité d’un Etat souverain, sur
les exigences d’une information pénale en cours pour des faits infractionnels tels
l’atteinte à la sûreté de l’Etat, le recel de détournement de biens publics et le
blanchiment de capitaux pour lesquels ces requérants sont poursuivis le détournement
et recel de biens publics pour lesquels ces requérants sont poursuivis ?
9- Par ailleurs, peut-on valablement réduire à une situation unique les situations de 18
personnes dont chacune fait l’objet d’un mandat de dépôt spécifique pour être
poursuivie distinctement ? Autrement dit, les inculpés étant l’objet de poursuites
individuelles, la Cour pouvait-elle valablement rendre à leur égard une
décision collective ?
10- Au demeurant, par quel mécanisme peut-on surseoir à l’exécution d’un mandat de
dépôt déjà exécuté, étant entendu que le mandat de dépôt est l’ordre donné au
régisseur d’une maison d’arrêt donnée de recevoir et de détenir une personne jusqu’à
ce qu’il soit autrement ordonné par l’auteur de cet ordre, et alors surtout que l’exécution
dudit mandat est achevée dès la remise du concerné à ce régisseur ?
Voici Mesdames et Messieurs de la Presse, quelques interrogations que suscitent cette
décision de la Cour, et dont l’évidence des réponses est de nature à conforter la crainte
d’une insécurité juridique.

Encore et surtout que, cette décision intervient au moment où le juge d’instruction commis
dans la procédure de recel de détournement de biens publics suivie contre Monsieur SORO
Guillaume, est définitivement dessaisi au profit du Tribunal correctionnel d’Abidjan par
devant lequel ce dernier est renvoyé pour être jugé pour ces faits dans les tous prochains
jours ; toute chose sur laquelle l’ordonnance entreprise reste évidemment sans aucune
incidence.

                                                      Fait à Abidjan le Vendredi 24 Avril 2020

POUR LE COLLEGE DES AVOCATS DE L’ETAT DE CÔTE D’IVOIRE
Maître Abdoulaye Ben MEITE Maître SAMASSI Mama

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