Réforme de la CEI: Les 3 groupes parlementaires de l’opposition démontent les arguments de Ouattara et… exhortent le Gouvernement à retirer ce projet de loi
POINT DE PRESSE DES GROUPES PARLEMENTAIRES DE L’OPPOSITION A L’ASSEMBLEE NATIONALE DE CÔTE D’IVOIRE (PDCI-RDA-VOX POPULI-RASSEMBLEMENT) RELATIF AU PROJET DE LOI PORTANT RECOMPOSITION DE LA COMMISSION ELECTORALE INDEPENDANTE
Mesdames et Messieurs les journalistes,
L’Assemblée nationale a été saisie d’un projet de loi portant recomposition de la Commission Electorale indépendante (CEI).
Ce texte qui a été mis à la disposition des Députés le vendredi 12 juillet 2019 a été programmé pour être examiné par la Commission des Affaires Générales et Institutionnels, ce jour mardi 16 juillet 2019 à 14h00, avant d’être reporté au jeudi 18 juillet prochain à 10h00.
La présentation de ce projet de loi à l’Assemblée nationale appelle de la part des Groupes parlementaires PDCI-RDA, Rassemblement et Vox Populi, plusieurs observations qu’il nous faut partager avec la Communauté nationale et internationale au travers des media que vous êtes.
La première observation porte sur le contexte qui a prévalu à l’élaboration de ce projet.
Il vous souviendra qu’à la suite de nombreuses récriminations portées contre la CEI par la classe politique ivoirienne et par la société civile depuis la crise post-électorale de 2010, l’ONG Action pour la Protection des Droits de l’Homme (APDH) avait assigné l’Etat de Côte d’Ivoire devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le 12 juillet 2014. La requête de cette ONG avait pour objet d’une part de faire constater que la loi N°2014-335 du 18 juin 2014 sur la CEI n’était pas conforme aux instruments internationaux des Droits de l’Homme ratifiés par la Côte d’Ivoire et d’autre part de condamner l’Etat de Côte d’Ivoire à amender ce texte au regard de ses engagements internationaux.
Faisant droit à cette requête, la Cour Africaine des Droits de l’Homme a jugé le 18 novembre 2016, qu’en instituant une Commission électorale non indépendante et non impartiale, déséquilibrée au profit du pouvoir, la loi de 2014 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante (CEI) consacre une « violation par l’Etat de Côte d’Ivoire de son engagement de créer un organe électoral indépendant et impartial ainsi que son engagement de protéger le droit à l’égalité devant la loi et à la protection égale par la loi, prévus notamment par les articles 3 et 13(1) et (2) de la charte des droits de l’homme, les articles 10(3) et 17(1) de la charte africaine sur la Démocratie, l’article 3 du protocole de la CEDEAO sur la Démocratie, l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.»
En conséquence, la Cour a ordonné à l’Etat de Côte d’Ivoire de modifier cette loi pour la rendre conforme aux instruments internationaux auxquels l’Etat de Côte d’Ivoire est partie.
Mais au lieu d’exécuter cette décision dont les termes sont clairs et précis, le Gouvernement a usé de manœuvres dilatoires pour refuser d’appliquer cette injonction de la Cour. C’est finalement sous la pression conjuguée des partis d’opposition, de la société civile et de la Communauté internationale que le Gouvernement va accepter d’engager des discussions avec l’opposition et la société civile ivoiriennes, le 21 janvier 2019. Mais ces discussions vont très vite achopper sur les modifications à opérer.
En effet, alors que les acteurs politiques et la société civile s’attendaient à une reforme de tout le système électoral en Côte d’ivoire, y compris la CEI, le Gouvernement ne leur proposera qu’une recomposition de cette Commission.
C’est dans ces conditions, qu’après plusieurs rencontres tenues sans des partis et groupements Politiques de l’Opposition ivoirienne (PDCI-RDA, EDS, LIDER) que le Gouvernement a fait connaître ses propositions sur la recomposition de la CEI. Ce sont ces propositions unilatérales du Gouvernement dénoncées et décriées par des Partis Politiques et Organisations de la Société Civile qui ont daigné participer aux négociations qui font l’objet du projet de loi portant recomposition de la CEI adopté en Conseil des Ministres le mercredi 03 juillet 2019 et déposé à l’Assemblée nationale le vendredi 12 juillet 2019.
La seconde observation concerne le fond de ce projet de loi.
Le projet de loi propose le retrait des représentants de l’Assemblée nationale, du Ministère de l’Economie et des Finances et des confessions religieuses. Ensuite, il assimile le Conseil National des Droits de l’Homme, en organisation de la Société Civile.
Par ailleurs, il maintient les représentants du Président de la République et du Ministre en chargé de l’Administration du Territoire avec voix délibérative tout en leur interdisant de se porter candidat au poste de Président de la Commission.
Pour les Groupes parlementaires de l’Opposition, cette proposition du Gouvernement ne fait que renforcer le déséquilibre de la CEI au profit du pouvoir.
En effet, le Conseil National des Droits de l’Homme est une autorité administrative qui ne saurait en aucun cas être assimilé à une organisation de la société civile. Son représentant à la CEI ne pourra qu’être subordonné à l’Administration publique, donc au Pouvoir.
En outre, le représentant personnel du Président de la République, dont la présence pouvait être tolérée sous l’emprise de la Constitution du 1er Aout 2000 qui interdisait au Président de la République de diriger un parti politique, ne peut plus être auréolé d’une quelconque neutralité. La Constitution du 08 novembre 2016 ayant aboli cette interdiction, l’actuel Président de la République est le président du RHDP, le parti au pouvoir. Son représentant est donc le représentant du Pouvoir.
Enfin, s’agissant du représentant personnel du Ministre chargé de l’Administration du territoire, sa présence comme celle des autres membres du Gouvernement ne se justifie pas. La CEI bénéficie de l’assistance de tout le Gouvernement en ce qui concerne le personnel administratif, technique et financier dont l’appui est nécessaire au bon fonctionnement de ses services (voir article 37 de la Loi relative à la CEI). Cette présence ne fait qu’accroitre le nombre de membres du parti au pouvoir.
Au total, tant au niveau central, que local, la commission Electorale est déséquilibrée au profit du pouvoir et contrarie aux reproches de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
La dernière observation, et non des moindres, concerne la procédure d’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale.
En effet, au terme de l’Article 21 de son Règlement, l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale est établi par le Président de l’Assemblée nationale après accord de la Conférence des Présidents. Cet ordre du jour est adopté par l’Assemblée nationale au cours d’une séance plénière.
Du vendredi 12 juillet 2019, date de la mise à la disposition du projet de loi aux Députés et la convocation le même jour, d’une réunion de la Commission des Affaires Générales et Institutionnelles à l’Assemblée nationale pour l’examen de ce texte le mardi 16 juillet 2019 à 14h00, aucune réunion de la Conférence des Présidents ne s’est tenue encore moins une séance plénière.
Il s’ensuit que l’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale doit être perçue comme irrégulière au regard des dispositions du Règlement précitées.
Au regard de ce qui précède, les Groupes Parlementaires de l’opposition :
• Dénoncent la présentation de ce projet de loi qui ne contient que les propositions unilatérales du Gouvernement, nonobstant la disponibilité des partis de l’opposition à poursuivre le dialogue en vue d’aboutir à l’adoption d’un cadre législatif propice à l’organisation d’élections justes, transparentes et inclusives, gage de paix et de stabilité ;
• Exhortent le Gouvernement à retirer ce projet de loi et à reprendre les discussions avec toutes les parties prenantes afin d’aboutir à la mise en place d’une Commission Electorale impartiale et équilibrée conforme à la décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 18 novembre 2016 ;
• S’engagent à mettre en œuvre tous les moyens démocratiques et légaux, nationaux et internationaux, pour faire échec à cette tentative de passage en force du Gouvernement.
Fait à Abidjan, le 16 juillet 2019
Les Groupes parlementaires
PDCI-RDA
RASSEMBLEMENT
VOX POPULI