Vie syndicale en Côte d’Ivoire: De graves incidents au Port Autonome d’Abidjan

Vie syndicale en Côte d’Ivoire: De graves incidents au Port Autonome d’Abidjan

C’est une vidéo d’un peu moins de deux minutes qui illustre à elle seule l’ampleur et la gravité des pratiques mafieuses d’une milice au port « au sein de la corporation Docker dans le port d’Abidjan. ». Une « police privée » dont « L’Éléphant » vous dévoilait l’existence dans ses colonnes (journal du 30/10/2018).

Désormais, son existence risque d’être plus compliquée à nier pour les institutions portuaires.

Preuve du sentiment d’impunité des membres de cette milice, la vidéo a été publiée sur Facebook le jeudi 7 mars. Ces auteurs semblent ne pas se soucier outre mesure des possibles retombées. Elle montre un secrétaire général de syndicat, Dioulatié Koné, rien de moins que séquestré, malmené, mis à nu et menacé de mort. Une humiliation et des sévices qui ont choqué dans la communauté dockers et devrait scandaliser au-delà.

La scène se déroule près du hall de paie du Sempa dans des bureaux utilisés par le Cndd (Collectif national des dockers de Côte d’Ivoire pour la défense de leurs droits), syndicat majoritaire au port.

Selon plusieurs sources dockers, le lieu, dans l’enceinte même du port autonome, sert de « prison » à la branche ‘‘militaire’’ du syndicat, en faisant une zone de non-droit. Il est le lieu des humiliations et autres violences infligées à tout travailleur qui sortirait un tant soit peu du rang.

Selon plusieurs dockers, les visages apparents de certains des auteurs du forfait permettent clairement de les identifier comme étant des membres de la milice. L’élément particulièrement confondant voire accablant pourrait être un élément fort dans les mains d’un procureur de la République saisi du dossier.

ENLEVEMENT, SEQUESTRATION, AGRESSIONS CONTRE TROUBLE A L’ORDRE PUBLIC

Tout a commencé quand une douzaine de personnes dont Carlos Kobena, secrétaire général du syndicat national des dockers de Côte d’Ivoire (Synado-ci), ont voulu revendiquer et vraisemblablement tenter de bloquer le port, le mercredi 6 mars.

Ces derniers, « interdits » d’y travailler par le tout-puissant Cndd, ont entretenu les dockers, avant d’être bastonnés, aux alentours de 10 h, par la milice. « Sauvés » par l’intervention de la gendarmerie du port, ils ont été envoyés dans leurs locaux.

L’Eléphant qui s’est rendu sur place a pu constater que ces derniers souffraient de nombreuses blessures, lèvres gonflées pour certains, traces de blessures encore particulièrement vives à l’aide de chevrons de palettes pour d’autres, mains en piteux état pour d’autres encore. Autant de séquelles d’une agression sauvage.

Les personnes molestées ont été retenues à la gendarmerie du port sans que plus d’explication ne leur soit donné sinon que « les ordres viennent d’en haut ».  Traduction, le port autonome a porté plainte à leur encontre pour « trouble à l’ordre public » en zone portuaire. Une situation qui a semblé mettre en difficulté le commandant de brigade Dja Kouassi qui dépend directement de la direction du port autonome.

LES BOURREAUX RETENUS, LES VICTIMES LIBRES

D’autant que l’Éléphant s’est laissé dire que les loubards, auteurs de ses agressions, avaient eu beaucoup moins d’ennuis que les victimes. Certains parmi les agressés évoquent la présence de seulement deux d’entre eux à la gendarmerie. Ayant pris à partie un officier supérieur lorsque ce dernier souhaitait ramener les blessés au port, ils auraient été finalement « exfiltrés » prestement après intervention de dirigeants du Cndd. Preuve de plus de l’immunité dont ils semblent jouir.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Néanmoins, alors que Koné Dioulatié, secrétaire général de l’Unado-ci (Union nationale des dockers de Côte d’Ivoire) venait apporter de la nourriture aux personnes retenues, jeudi 7 mars, il est tombé dans une embuscade tendue par la même milice.  Lorsqu’il s’apprêtait à rentrer chez lui, vers 21 h, il a été frappé par une dizaine de miliciens à hauteur de la direction de la Sotra non loin de la gendarmerie du port. Malgré ses tentatives pour se défendre, il raconte avoir « été emmené de force dans une voiture banalisée verte. ». « Ils m’ont ensuite transporté vers le hall de paie. Là, un autre groupe m’attendait. Ils m’ont déshabillé devant les dockers avant de m’enfermer dans leur bureau qui sert de cachot ». La scène a lieu vers ce que les dockers appellent le marché ivoire, un lieu où les travailleurs ont l’habitude de se restaurer.

Il dit avoir passé une trentaine de minutes dans la « cellule » avant d’être libéré par les gendarmes. Devant la gravité de tels faits, pourtant, le secrétaire général se retrouve, seul, envoyé à la gendarmerie. Il est forcé d’y rester à l’instar de ses camarades agressés dans l’enceinte du port pour le même motif de « trouble à l’ordre public».

En ce qui concerne les loubards, bien identifiables sur la vidéo, ils n’ont pas été inquiétés. Selon des sources au sein du Cndd, ils seraient même très sereins. Les bourreaux comme dans le cas précédent jouissent d’une liberté insolente quand les victimes sont coincées à la gendarmerie en attendant leur sort.

Le procureur de la République alerté par le député de Touba, Mamadou Sako, n’aurait néanmoins pas été dupe de ce deux poids deux mesures. Le magistrat a décidé la libération des dockers victimes d’agressions, lundi 11 mars en début d’après-midi. Ils ne leur reste qu’à porter plainte contre leurs bourreaux.

Une plainte qui pourrait mettre fin aux mains-libres de cette milice qui semble s’être étrangement substitué aux autorités portuaires pourtant nombreuses pour assurer la sûreté du port.

LES RAISONS DE LA MANIFESTATION

Carlos Kobena et les autres personnes agressées étaient venues manifester pour réclamer la tenue d’élections de délégués du personnel et leur réintégration dans le port. Les élections n’ont pas eu lieu depuis près de 11 ans. Le code du travail fixe pourtant les échéances électorales tous les deux ans. Quant à leur exclusion du port, elle est due au refus de rentrer dans la Fédération nationale des dockers de  Côte d’Ivoire (Fenad-CI) et n’a pas de base légale. Depuis la fin du mois janvier, une réunion à laquelle ont participé des membres du Cndd, et de tous les autres syndicats ainsi que du Sempa/Bmod a eu lieu. Lors de celle-ci, le ministre des Transports en personne avait enjoint les membres du CNDD et les autorités du Sempa/Bmod d’œuvrer pour leur réintégration. Mais rien !

DORIAN CABROL, in L’ELEPHANT DECHAINE N°633

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