Dérives du régime Ouattara: «Le cas de Jacques Ehouo est une honte pour la 3ème République…» (Sylvain Takoué)
La 3ème République ivoirienne, nous le disons depuis qu’elle a été instaurée en 2016, a été créée, juste pour faire dire que le Chef de l’Etat Alassane Ouattara, qui en a eu l’initiative à son unique profit, en est le père-fondateur. Sinon, elle n’a vraiment rien d’ingénieux, juridiquement et politiquement, sauf à constitutionnaliser la monarchie présidentielle dont il rêvait tant, depuis la disparition du Président Félix Houphouët-Boigny dont il avait été, le tout premier, Premier ministre.
La preuve en est que le Chef de l’Etat, en dehors de toute convenance procédurale, fait de cette 3ème République, « sa » chose propre, gérée comme une entreprise uninominale sur laquelle il se donne un droit viager et au sein de laquelle il utilise les uns et les autres comme de simples pions de damier ou de jeu d’échec. Ce n’est pas normal et c’est inacceptable, quand on dit pourtant que la Côte d’Ivoire est un « Etat de droit » et une « démocratie » et que le régime Ouattara se tue à le faire croire tel, à l’international, pour bénéficier, en tant « garant » constitutionnel du pays, des aides publiques au développement et de la dette extérieure dont le taux est galopant.
Or, la politique intérieure, qu’il exerce dans le pays, est toute autre : elle est impitoyablement autocratique et est assise sur les ressorts d’un modèle de gestion personnelle du pouvoir d’Etat, une gestion qui obéit strictement à ses émotions et à ses sautes d’humeur. Beaucoup ne disent-ils pas de lui, y compris même dans son entourage, que ce serait un chef d’Etat qui ferait ce qu’il veut, qui n’accepterait pas d’être contredit en rien ni par qui que ce soit et qui ne saurait que prendre des décisions unilatérales implacables ?
En plus de ce qui se voit de gauche et de maladroit sous son régime installé depuis près de 10 ans à la tête du pays, les dernières élections municipales et régionales en ont donné la parfaite illustration, à tous : l’ingérence malsaine du pouvoir Ouattara dans l’appareil judiciaire au mépris du principe démocratique de la séparation des pouvoirs (on se souvient de la guéguerre politico-judiciaire avec le PDCI-RDA), et l’immixtion dans l’organisation de ces élections locales où il ne fallait qu’élire les dirigeants des Conseils municipaux et des Conseils régionaux, c’est-à-dire les tenants des collectivités territoriales, non seulement décentralisées, mais aussi démocratisées, puisqu’ils sont élus par les citoyens de circonscriptions, et non pas nommés par le pouvoir en place.
Mais ce qu’il a été donné à voir clairement, à tous, est que le pouvoir Ouattara, dans sa logique forcenée de forger un parti-Etat comme dans les années 1960-1990, c’est de vouloir, au mépris même de la volonté des citoyens électeurs, désigner ou nommer, lui-même, les maires des villes et communes et les Présidents des régions qu’il voudrait avoir dans son giron.
L’un des cas les plus choquants en la matière, est celui du maire élu de la Commune du Plateau, Jacques Ehouo. Voilà un candidat qui a été élu normalement, à la majorité, par les administrés de cette Commune du Plateau. C’était un candidat qui a légitimement battu, à plate couture, son adversaire soutenu par le pouvoir Ouattara qui refuse, pourtant, d’accepter cette défaite électorale.
Depuis sa brillante élection, le maire Jacques Ehouo est sur le carreau et n’est pas officiellement installé dans son fauteuil de maire, par la simple volonté du pouvoir Ouattara qui lui contesterait son statut de premier magistrat de la commune qui abrite le palais présidentiel. Nous pensons, raisonnablement, que le cas de Jacques Ehouo, maire élu mais châtié et persécuté, au mépris même des règles de fonctionnement d’un Etat de droit, est une honte pour la 3ème République ivoirienne.
On lui reprocherait, à cet élu opposé au régime en place, d’avoir détourné, entre 2004 et 2017, à des fins personnelles, des fonds publics à hauteur de plus de 6 milliards de franc CFA, comme on le reprochait aussi au maire sortant Noel Akossi Bendjo dont il est le proche. Ainsi est-il accusé et poursuivi judiciairement, que son titre de maire élu est resté suspendu pour une plainte déposée contre lui, le lundi 10 décembre 2018, près du procureur de la République, après un audit interne qui aurait été effectué courant 2018 à la mairie du Plateau.
Le régime Ouattara, qui évoque une question de corruption, a créé un contexte de chasse aux « pilleurs » de la République au moment où, justement, des élections Conseils municipaux et de Conseils régionaux sont organisées. Soit.
Mais qu’en est-il été, dans ce même contexte de chasse aux pilleurs de la République, de cette affaire de plus de 100 milliards de francs CFA, qui avaient été décaissés pour la réhabilitation des universités publiques du pays, dont principalement l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody ?
Quel audit interne avait-il été effectué dans le département du ministre RDR qui en avait la charge, alors que cette importante affaire, sans avoir été vraiment clarifiée ni élucidée, avait fait beaucoup de bruits dans la République, parce qu’on dénonçait ce qu’on qualifiait de surfacture et de détournement ?
Les étudiants ne s’étaient pas, eux-mêmes, plaint de la pseudo-rénovation de l’université en question, dont les fonds alloués dépassaient, pourtant, la centaine de milliards pris sur les fonds publics ? Sous quelle procédure-sanction judiciaire exemplaire est-il tombé, ce même ministre de la République mis en cause, depuis cette affaire scabreuse ? Au contraire, ne s’est-il pas fait élire, aujourd’hui, en toute impunité et resté comme lavé de tous soupçons, maire de la commune de Koumassi au profit du régime politique dont il est l’une des pontes-clé ?
On se souvient, de récente date, que le président du Rwanda, Paul Kagamé, en visite d’Etat effectuée le 10 décembre dernier en Côte d’Ivoire, n’était pas allé par quatre chemins pour parler de la haute corruption dans notre pays. Il avait, face à nos hauts dirigeants, notamment dit ceci : « La corruption existe partout. Mais il faut se donner les moyens de la combattre. Il faut promouvoir la transparence et la bonne gouvernance (…) Combattre la corruption ne doit pas être sélective. Il faut aller vers les gros poissons. Il ne faut pas voir le citoyen lambda seulement. Chez nous (au Rwanda), la loi s’occupe de tout le monde. Il n’y a pas d’exception. Il y a un médiateur qui est connu de tous et, chaque année, nous faisons des déclarations de nos biens. Moi, mes biens sont connus publiquement. Même mon épargne. J’ai pris les devants des choses et c’est la façon de s’y prendre. Lutter contre la corruption n’est pas facile, mais ne rien faire est pire (…) Comment voulez-vous qu’un entrepreneur puisse évoluer dans la corruption ? (…) Concernant la corruption au Rwanda, quel que soit votre rang, vous subissez la rigueur de la loi. Que vous soyez général de l’Armée, ministre et même Président, vous serez sanctionné. Il ne faut pas punir les petits et laisser les hauts fonctionnaires qui s’adonnent à la corruption ».
Le régime Ouattara fait, d’un côté, une répression politique à deux vitesses contre la corruption et, d’un autre côté, veut, peut-être, désormais nommer, sans les voir élus, les maires et présidents des Conseils régionaux du pays. Mais les cas d’exception de Jacques Ehouo au Plateau, Sylvestre Emmou à Port-Bouët, Philippe Ezaley à Grand-Bassam, vont lui rester comme des os dans la gorge de sa 3ème République qui est devenue impopulaire, parce que monarchique.
Sylvain Takoué,
Président du
Rassemblement des Fiers Ivoiriens (R.F.I.)