Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ex-codétenus du quartier pénitentiaire de la Cour Pénale Internationale (CPI), situé dans une prison néerlandaise à Scheveningen, dans les faubourgs de La Haye, aux Pays-Bas, ne regardent plus dans la même direction politique. Par organisations interposées, le »Père » et le »fils » s’affrontent dans le cadre des législatives prévues en Côte d’Ivoire en mars 2021.
En 2002, Blé Goudé met en veilleuse les études qu’il menait à l’université de Manchester, en Angleterre, pour venir à Abidjan, siège du pouvoir ivoirien, pour prêter main forte à Laurent Gbagbo, son mentor politique, qui fait face à un coup d’Etat mué en rébellion. Avec »les jeunes patriotes », organisation de la société civile dont la tâche était défendre les institutions de la République, l’ancien leader de la FESCI a donné du tournis aux rebelles, réussissant parfois là où les armes avaient échoué.
Le »Général de la rue », ainsi qu’on le nommait, était devenu une pièce maîtresse du dispositif de Laurent Gbagbo qui devait aussi faire face à des trahisons et défections dans son armée. A cette époque, Blé Goudé qui démentait son appartenance au Front populaire ivoirien (FPI), parti fondé par Laurent Gbagbo, n’avait pas que des amis chez les Refondateurs. Sa proximité avec le Woody de Mama déplaisait à certains cadres frontistes qui lui glissaient, à l’occasion, des peaux de banane.
A la chute de Laurent Gbagbo en avril 2011, suivie de son transfèrement à la CPI la même année, Charles Blé Goudé est resté fidèle au fondateur jusqu’à ce que lui-même le rejoigne en 2014, en tant que détenu à la prison internationale. Avant et après leur acquittement en première instance par les juges de la Cpi, les deux hommes ont montré une convergence d’opinions en ce qui concerne la politique ivoirienne. Cependant, ces derniers temps, alors qu’ils sont autorisés à rentrer en Côte d’Ivoire, avant leur procès en appel, le ciel de leurs relations semble s’assombrir.
Crise des législatives
Blé Goudé qui réside à La Haye depuis son acquittement en première instance, essuie bien souvent des attaques de ses détracteurs, qui tentent de le présenter comme un pion du régime en place. Des allégations que le président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP) a toujours démenties, apportant son soutien, lors de la présidentielle d’octobre 2020, à l’opposition qui avait choisi de la boycotter en réaction au 3e mandat que briguait Alassane Ouattara.
Cependant, depuis l’annonce des législatives fixées au 6 mars 2021, et dans le cadre des préparatifs de ce scrutin, Charles Blé Goudé a laissé submerger ses désaccords avec l’opposition et surtout avec les Gbagbo ou rien (GOR) réunis au sein de Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS). Et l’expression de sa contradiction ne s’est pas arrêtée au mot. Blé Goudé l’a traduite en acte en retirant son parti de toutes les plateformes de l’opposition.
« Le COJEP et La Voix du Peuple (…) suspendent leur participation aux activités liées aux élections législatives tant au sein de la CDRP qu’avec les plateformes de l’opposition », peut en lire dans la déclaration du COJEP en date du 18 janvier dernier. Avant d’arriver à cette situation radicale, Blé Goudé avait dénoncé des dysfonctionnements au sein de l’opposition, révélés à l’annonce des législatives qui ont « malheureusement mis au grand jour les appétits et autres guerres de positionnement entre des entités pourtant supposées être des partenaires ».
Tout montre dans l’attitude de Blé Goudé que le nom seul de Laurent Gbagbo ne suffit plus pour qu’il soit aux ordres. Désormais, le »Général de la rue » entend se déterminer et agir selon les règles de son propre parti. « Savoir dire ‘’Non’’, assumer sa différence et quitter une plateforme ne signifie pas qu’on n’est plus opposant. Une plateforme n’est pas un office qui délivre des statuts ou cartes d’opposants. (…) Chacun de nous a au moins une histoire avec ce pays », écrit Charles Blé Goudé sur sa page Facebook.
D’ailleurs, dans le jeu des alliances pré-législatives, le COJEP, son parti politique, a pris le soin d’éviter la coalition pro-Gbagbo, en alignant ses candidats sous la bannière d’un groupe qu’il forme avec le Front populaire ivoirien (FPI-Affi) et l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI). Un signal fort envoyé à Laurent Gbagbo et ses partisans qui doivent désormais compter Blé Goudé et le COJEP au nombre de leurs contradicteurs.
Les législatives à venir vont sans doute changer la configuration du paysage politique de la Côte d’Ivoire. Si les positions restent en l’état, elles pourraient aussi modifier les rapports entre Laurent Gbagbo et Blé Goudé, dont les organisations (EDS et le COJEP) sont loin d’être sur la même longueur d’onde. Attestant ainsi qu’entre le »Père » et le »fils », c’est la déchirure !
Par Serge YAVO