Discours à la Nation de Guillaume Soro le 1er janvier 2020. Voici l’intégralité du message du président de GPS aux Ivoiriens.
Me voici devant vous pour la deuxième année consécutive, depuis les terres de mon exil, pour m’adresser à vous à l’occasion des célébrations du nouvel an, avec un sentiment profond de gravité, mais aussi d’espoir lucide et déterminé, Les grandes douleurs promettent d’immenses joies dit-on, pourvu qu’on sache surmonter les premières et féconder les secondes. L’année 2020 s’est achevée. Une année de grands malheurs que nous n’oublierons pas de sitôt.
Chers Compatriotes,
Démarrée sur des chapeaux de roue avec la vague de répression brutale qui s’est abattue sur mes compagnons du mouvement Générations et Peuples Solidaires (GPS) à compter du lundi 23 décembre 2019, la terreur s’est poursuivie et même intensifiée tout au long de l’année 2020.
Oui, 2020 aura été une véritable annus horribilis pour la Côte d’Ivoire. Les rideaux de l’effroi ont été ouverts par l’entrée en scène des miliciens et encagoulés, au siège de GPS. Ces forces parallèles dont l’apparition, nous le découvrirons plus tard, s’inscrivait dans un plan savamment orchestré de braquage de la souveraineté du Peuple ivoirien, au nom d’un troisième mandat anticonstitutionnel.
La cruauté opposée à GPS en était certainement les prémices :
* la quasi-totalité de sa direction arrêtée en une seule journée ;
* son président contraint à l’exil ;
* son siège sous blocus ;
* ses militants traqués et emprisonnés.
J’espère que vous l’aurez bien remarqué, ce qui est arrivé à Générations et Peuples Solidaires a progressivement frappé tout le Peuple de Côte d’Ivoire.
2020 a également été l’année de la terrible pandémie de la maladie à Covid-19, qui a semé la désolation à l’échelle planétaire par son caractère particulièrement dévastateur en termes de décès causés en peu de temps, mais surtout par l’absence de remède approprié, créant ainsi une psychose générale. Jugez-en vous-même : plus de 80 millions de cas d’infection et plus de 1 700 000 décès dans le monde à ce jour, selon les dernières statistiques. En Côte d’Ivoire sur les insuffisances de notre système sanitaire, cette pandémie est venue se greffer, faisant officiellement 137 décès, sur près de 22 000 cas de contaminations rapportés. La situation demeure encore non maitrisée et préoccupante, même si la mise en œuvre de vaccins en cours de déploiement, permet d’espérer en des lendemains meilleurs. C’est le lieu d’exhorter à nouveau les uns et les autres à continuer d’observer les gestes barrières et les mécanismes de prévention pour freiner la propagation de cette maladie.
Mes chers compatriotes,
Je vous l’ai déjà dit, l’année 2020 a aussi été l’année de la perpétration des pires exactions contre les droits humains et partant contre la démocratie dans notre pays. En effet, la Constitution, notre Loi fondamentale a été violée, au nom d’arguments aussi grotesques qu’inacceptables de « cas de force majeure » ou « de candidature par devoir », maladroitement invoqués par M. Alassane Ouattara au soutien de son ambition. Je tiens à signaler que les cas « de force majeure » ou de « candidature par devoir » ne sont pas des dispositions de la Constitution ivoirienne. Notre Loi fondamentale est claire sur la question en son article 55 : «Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. » Point.
Mais sommes-nous surpris par ce qui est arrivé ? J’en vois qui n’en reviennent toujours pas. Et pourtant, le 31 décembre 2019, dans mon discours à la Nation, j’avais averti de la catastrophe à venir et je cite :
« Ce soir, je voudrais vous le dire avec gravité :
* ce qui se joue actuellement engage le destin de notre pays ;
* ce qui se joue tient à la sauvegarde de la démocratie dans notre pays.
Il ne s’agit ni plus ni moins pour Monsieur Ouattara, en totale violation de la Constitution, que de vouloir faire un troisième mandat, d’ostraciser un candidat déclaré à l’élection présidentielle et de museler définitivement l’opposition politique. » Fin de citation.
Il n’est hélas pas toujours heureux d’avoir raison trop tôt.
Mes chers compatriotes,
L’histoire du troisième mandat de M. Alassane Ouattara est l’histoire d’une surprise tragique qui montre à quel point la limite entre la démocratie et la pire dictature est mince.
Quand un Président ordonne que le droit ne soit plus respecté dans son pays, alors aucun doute ne subsiste, c’est bien le règne de l’arbitraire et de la dictature.
Ainsi, déterminé à prolonger la confiscation du pouvoir d’État, contre le Peuple et la Constitution, M. Alassane Ouattara a piétiné par quatre fois les décisions de la justice internationale.
Les 22 avril, 15 juillet, 15 septembre et 24 septembre 2020, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) a condamné le gouvernement ivoirien, lui ordonnant de redresser le processus électoral qu’il biaisait au mépris de nos règles constitutionnelles et des engagements juridiques internationaux de l’État de Côte d’Ivoire. En vain !
La Cour a ordonné que mes compagnons, mes frères et collègues députés soient libérés et que cessent les poursuites lancées contre ma personne. En vain !
La Cour a ordonné également la réforme de la commission électorale indépendante (CEI) pour plus d’équilibre dans ses décisions. En vain !
La Cour a enfin ordonné que le président Laurent Gbagbo et moi-même, soyons réintégrés dans le processus électoral et que nos candidatures à l’élection présidentielle de 2020 soient validées. En vain !
Dès lors, il était évident que M. Alassane Ouattara persisterait dans sa volonté frauduleuse de se porter candidat et de se faire proclamer faussement élu à la présidence de la République. Mais, tout le monde sait, même si personne n’ose en parler, qu’avec à peine 20% de cartes d’électeurs distribuées, environ 10% de taux de participation et 1.5 millions d’électeurs retirés d’office des listes électorales par la suppression de 25% des bureaux de vote, quand vous y ajoutez le bilan de l’atroce répression, plus de 100 personnes tuées, des milliers de blessés et d’arrestations ainsi que plus de 15000 personnes réfugiées dans les pays voisins, il faut concéder qu’il n’y a eu qu’un simulacre d’élection. La force brute s’est substituée au droit.
Oui, nous aurons tout vu, tout entendu, tout vécu, en cette année 2020. Nous aurons vu des partisans de M. Alassane Ouattara, ô sacrilège, décapiter notre jeune compatriote N’Guessan Koffi Toussaint à Daoukro et faire de sa tête un ballon de jeu. Cette image terrible demeurera gravée dans la mémoire collective, tout comme celle de cette famille entière brûlée vive à Toumodi.
Du reste, les organisations internationales des droits de l’Homme, telles que Amnesty International ou Human Rights Watch ont eu tant de pain sur la planche que leurs rapports sur la Côte d’Ivoire sont de véritables banques de données pour d’incontestables poursuites judiciaires internationales contre le régime illégal et illégitime de M. Alassane Ouattara.
Je voudrais ici, avec vous, que nous nous adressions aux familles durement éprouvées par cette barbarie. Je m’incline respectueusement devant la mémoire de toutes les personnes tuées et je m’associe pleinement à la douleur de leurs proches que j’imagine horrible, en ces temps où l’allégresse devrait être au rendez-vous.
J’ai une pensée émue pour les sept (7) femmes arrêtées avec comme délit « la participation à une marche ». Avec Amnesty International, je dénonce le caractère arbitraire de ces arrestations, car manifester pacifiquement est un droit constitutionnel.
On maintient en prison des femmes, des mamans qui auraient mérité l’attention du plus insensible. On enferme des compagnons et des frères juste pour faire mal. Des otages pour me faire chanter!
Je leur exprime ici toute mon affliction et ma solidarité et je demande la libération de tous les détenus politiques, civiles ainsi les membres des Forces de Défense et de Sécurité, incarcérés depuis la crise post-électorale de 2010. Cela fait dix ans que certains sont en prison sans jugement, leurs vies brisées, les enfants à la rue.
Chers Compatriotes,
Malgré la terreur et la répression, je plaide pour que jamais nous ne dévoyions la valeur sacrée de notre engagement en faveur de la démocratie. À tous, je veux dire : nous devons garder espoir, car malgré tout, rien n’est perdu pour notre pays. Nous devons nous remobiliser pour arracher notre liberté et notre indépendance, comme l’ont fait avant nous, nos pères et nos mères sans jamais se décourager !
Aujourd’hui, de toute évidence, l’on veut nous amener à tenir à distance ces faits de parjure et d’exactions graves et tangibles, qui ne devraient permettre, en aucun cas, de légitimer un passage en force. Le comble, c’est piétiner allègrement les principes universels de la démocratie pour féliciter l’imposture et demander à l’opposition politique de s’y conformer, au nom de la stabilité.
Comment peut-on espérer bâtir une stabilité durable basée sur une farce ?
Croit-on qu’on aurait ainsi créé les conditions de la paix ? Ne voit-on pas qu’on crée plutôt les conditions de la fragilisation de notre pays ? En vérité, de la farce, il ne peut jaillir autre chose que du désordre et de l’instabilité.
À vous, adhérents de Générations et Peuples Solidaires (GPS) qui avez payé un si lourd tribut au combat que nous avons engagé ensemble, je vous demande de prendre courage ! Notre mouvement est jeune et en pleine construction, raison supplémentaire pour faire la politique autrement, avec l’innocence de l’idéal nourri depuis des décennies. L’histoire nous enseigne que rien de grand ne s’est accompli facilement. C’est l’ardeur et la persévérance à la tâche qui changent le monde. Toutes les grandes formations politiques, les mouvements de libération, les organisations de lutte, qui ont occasionné la transformation profonde de leur société et de leur pays, ont toutes connu l’épreuve du supplice.
Elles s’en sont sorties plus fortes et plus résistantes. Nous sortirons de cette épreuve, plus forts, plus unis, plus résistants, plus solides, plus structurés. Je vous le dis.
Générations et Peuples Solidaires devra redonner à la politique en Côte d’Ivoire, ses lettres de noblesse, sa vertu, des principes et des valeurs. Nous ne nous sommes pas engagés en politique pour changer de statut social ! Vous en conviendrez, car si c’était le cas, personnellement, je n’aurais pas rendu ma démission de la présidence de l’Assemblée nationale. J’aurais plutôt cédé à la tentation d’être l’obséquieux et servile accompagnateur de M. Alassane Ouattara et je serais, à ce jour, coté au sein de ses laudateurs.
Nous sommes venus au syndicalisme ensuite en politique mus par l’deal du changement en profondeur de la Côte d’Ivoire. Notre objectif demeure la construction d’une Nation forte, assise sur les piliers de l’État de droit et d’une démocratie surgie des entrailles du peuple. En ces temps de confusion politique, il nous faut courageusement adopter des positions et une attitude en faveur du seul peuple souverain de Côte d’Ivoire.
C’est pourquoi, je voudrais m’interroger avec les Ivoiriens : devons-nous accepter le principe ou la jurisprudence d’un troisième mandat en Côte d’Ivoire ? Devons-nous nous résigner et approuver la dictature et le viol de la Constitution au motif que nous sommes éprouvés? Devons-nous accompagner l’actuelle forfaiture ? Sans hésitation, la réponse est NON. Je suis convaincu que nous devons continuer à nous battre avec résilience, abnégation et persévérance.
C’est pourquoi, je voudrais, quelle que soit la situation à venir, dire que Générations et Peuples Solidaires (GPS) doit maintenir le cap de l’engagement contre le troisième mandat.
Mes chers Compatriotes,
Le dialogue politique qui s’instaure en Côte d’Ivoire, nous l’avons souhaité il y a plusieurs années déjà, en professant le pardon et la réconciliation. Que nous y participions ou pas, l’essentiel est que la Côte d’Ivoire soit au-devant et au cœur de nos actes.
En cette année nouvelle, je demande à tous les cadres de Générations et Peuples Solidaires (GPS) et à tous les adhérents de redoubler d’efforts afin d’intensifier le maillage de notre mouvement sur le territoire national. Je procéderai dans les jours qui suivent à la mise en place des organes de notre mouvement pour lui donner l’élan nécessaire dans la conquête démocratique du pouvoir d’État.
Après toutes ces épreuves, je mandate tous les cadres à investir leurs régions et délivrer le message d’espoir et de solidarité de Générations et Peuples Solidaires (GPS). Nous devons renforcer notre action et densifier notre présence sur le terrain.
Mes chers compatriotes,
Comme le disait si bien Jean-Paul Sartre, cet ami des luttes des damnés de la terre africaine : « La vie de l’homme est son affaire ; il peut en faire un gâchis ou une œuvre d’art ».
Prenons courageusement en main notre destin en tant que peuple épris de dignité, de liberté, de justice, de vérité et d’amour. Enracinons-nous dans ces principes solides et féconds pour traverser tous les déserts de la méchanceté gratuite et de l’ignorance qu’on veut nous imposer ! Si nous voulons que la Côte d’Ivoire change, changeons-la ensemble ! Que chacun d’entre nous prenne et accomplisse sa part dans notre révolution citoyenne.
Unissons-nous pour que du nord au sud, de l’est à l’ouest, en passant par le centre, tout Ivoirien se sente chez lui, partout dans notre pays !
Agissons sous l’inspiration de l’amour, de la justice, de la vérité, et de la sagesse ! Telles sont les forces qui élèvent l’humanité et les liens qui libèrent les sociétés !
Bientôt nous conjuguerons nos malheurs présents au passé. Je vous le dis, une ère de justice, de concorde, de prospérité et de fraternité, prendra le pas sur ces temps dramatiques et tragiques.
En ce début d’année, j’adresse mes vœux de bonheur et de parfaite santé à chacun et à chacune de vous, ainsi qu’à vos familles respectives !
Je vous souhaite une annus mirabilis 2021 !
Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire !
Je vous remercie
Monsieur Guillaume Kigbafori SORO
Président de GENERATIONS ET PEUPLES SOLIDAIRES