En Côte d’Ivoire, le président du FPI dit « légal », Pascal Affi N’guessan, a été libéré mercredi 30 décembre, après presque deux mois de détention préventive. Accusé notamment de « complot contre l’autorité de l’État », il reste sous contrôle judiciaire. Cette libération intervient après une semaine de pourparlers entre le gouvernement et les forces d’opposition. Pascal Affi N’Guessan revient sur sa détention et la signification politique de sa libération, les prochaines élections législatives et le futur retour de Laurent Gbagbo au pays.
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RFI : Vous sortez de près de deux mois de détention dans un lieu qui a été tenu secret jusqu’à présent. Beaucoup de rumeurs ont fusé sur les conditions de cette détention. Pouvez-vous nous raconter comment se sont passés ces deux mois pour vous ?
Pascal Affi N’Guessan (P.A.N) : Des mois de détention sont toujours des mois difficiles. D’abord, les conditions d’arrestation ont été très compliquées, rocambolesques. On est passé tout près, je dirais, de la mort. Ensuite la détention à la Direction de la surveillance du territoire, la DST, pendant 60 heures sans voir le jour, ce n’était pas facile. Mais après, lorsque j’ai été présenté au procureur et qu’on m’a transféré par la suite à l’Ecole de gendarmerie, je dois reconnaître que là-bas les autorités de l’école, tout comme les gendarmes qui étaient commis à ma surveillance ont été corrects. En tout cas, je voudrais vraiment témoigner que l’Ecole de gendarmerie a été professionnelle et que je n’ai pas eu à subir de torture ou de quelque maltraitance que ce soit.
C’est le juge d’instruction de la cellule spéciale qui a ordonné votre libération. Il vous maintient sous contrôle judiciaire. Comment analysez-vous cette libération après deux mois de détention ?
P.A.N : Evidemment, nous sommes dans un procès politique, dans une détention politique. Donc, c’est toujours le politique qui a le dernier mot. Il faut situer cette libération dans le cadre du dialogue politique pour essayer d’apaiser l’environnement sociopolitique, de normaliser la vie politique en Côte d’Ivoire et puis, de relancer le processus démocratique. Et donc, c’est vraiment par rapport à cela qu’il faut qu’on apprécie ma libération. Je voudrais donc en profiter pour dire infiniment merci au président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire PDCI Henri Konan Bédié, président de la plateforme, ainsi qu’à tous les leaders de l’opposition qui sont restés fermes sur cette nécessité de libérer les prisonniers politiques pour pouvoir relancer le dialogue. Rendre hommage à la mémoire de tous ceux qui sont tombés au cours de ces évènements, parce qu’il y a eu plus d’une centaine de morts liés à ces évènements, des milliers de blessés et des dégâts matériels énormes. Nous aurions pu faire l’économie de tout cela si nous avions accepté de nous asseoir autour d’une table pour discuter avant l’échéance électorale. Mais, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Le pays a encore besoin de paix et de réconciliation. Donc, je salue cette initiative et j’espère que ce dialogue national, ce dialogue politique sera conduit avec sincérité, avec franchise. Toutes les questions qui divisent le pays pourront être abordées sans tabou. J’espère que pour une fois, les leaders politiques pourront s’accorder sur l’essentiel pour mettre fin définitivement à ces conflits électoraux interminables et fonder la paix et la stabilité en Côte d’Ivoire.
Donc, les recommandations, qui sont issues de ce dialogue qui a eu lieu durant votre détention, vous semblent satisfaisantes pour une sortie de crise politique?
P.A.N : Le dialogue n’est pas fini puisque tous les acteurs politiques n’ont pas apposé leur signature au bas du rapport final. En tout état de cause, quels que soient les résultats auxquels nous allons aboutir, il faut savoir qu’il y a encore beaucoup de problèmes à régler et qu’il faudrait continuer à maintenir le dialogue avec le gouvernement.
Quels problèmes, selon vous, sont à régler d’urgence ?
P.A.N : D’urgence, c’est d’abord la question des prisonniers politiques, c’est la question des exilés, de tous nos camarades, de tous nos compatriotes qui vivent en exil depuis plusieurs années. C’est la question du retour du président Laurent Gbagbo, de Charles Blé Goudé [ex-chef des Jeunes patriotes ivoiriens] et du maire [Noël] Akossi-Bendjo [Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI)]. C’est donc la question de tous ceux qui sont en dehors de la Côte d’Ivoire. C’est aussi la question de la Commission électorale indépendante, mais je suppose qu’une solution sera trouvée dans le cadre de ce dialogue. C’est la question de la réconciliation nationale parce qu’elle n’a pas été conduite avec efficience. Le pays est toujours divisé et c’est d’ailleurs l’absence de réconciliation nationale qui explique ces turbulences que l’on enregistre chaque fois qu’il y a une échéance électorale. Et à travers la question de la réconciliation nationale, il y a la refondation du contrat social, c’est-à-dire une Constitution consensuelle, des règles électorales qui prennent en compte les réalités sociopolitiques nationales. Et c’est pour cela que nous-mêmes, à l’époque, nous avons, et que nous continuons d’appeler à l’organisation des Etats généraux de la République.
Vous avez rencontré au lendemain de votre libération, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) Henri Konan Bédié. De quoi avez-vous parlé ?
P.A.N : C’était une visite de courtoisie, une visite de remerciements. Vous savez que nous avons conduit cette bataille et nous continuons de conduire cette bataille dans le cadre de la plateforme des partis politiques de l’opposition dirigée par le président Henri Konan Bédié, puisque nous restons engagés dans la plateforme pour pouvoir faire face aux échéances à venir, en particulier la conclusion du dialogue politique, mais surtout la préparation des élections législatives à venir.
Le Conseil national de transition que l’opposition avait créé au lendemain de l’élection présidentielle a été dissout par Henri Konan Bédié pendant votre détention. Est-ce à dire que désormais l’opposition et donc le FPI reconnaissent la victoire et la réélection d’Alassane Ouattara ?
P.A.N : C’est une question qui relève du procès à l’heure actuelle et comme je suis astreint à l’obligation de réserve sur tout ce qui touche à la crise électorale, je préfère ne pas aborder ce sujet. Mais sachez que tout ce qui se fait dans le cadre de la plateforme de l’opposition engage l’ensemble des partis politiques de l’opposition.
Les législatives sont prévues pour le 6 mars. Il y a aussi la branche du Front populaire ivoirien (FPI), qui est soutenue par l’ex-président Laurent Gbagbo. Après des années de boycott, ils annoncent qu’ils vont participer à ces élections législatives. Qu’est-ce que cela veut dire pour le FPI, est-ce que la réunification est inévitable, même à marche forcée ?
P.A.N : Nous nous félicitons de cette décision de nos camarades. Logiquement, nous devrions tous en tirer les conséquences. Si ce sont les élections qui nous ont divisés, maintenant que nous sommes d’accord sur les élections, nous devrions être d’accord pour aller ensemble à ces élections dans le cadre d’un FPI unifié. Je crois que c’est l’équation que nous avons à régler parce qu’il serait dommageable que nous allions à ces élections en rangs dispersés avec le risque de perdre des circonscriptions électorales.
Pour cela, il faudrait donc que le président Laurent Gbagbo donne son accord, parce que cela dépend tout de même de lui. Il a reçu ses deux passeports. Est-ce que cela veut dire que vous allez peut-être prochainement lui parler pour une réunification éventuelle pour les législatives de 2021 ?
P.A.N : Nous n’avons jamais cessé de nous parler. Etant donné que nos amis ont fait cette annonce, c’est d’abord vers eux qu’il faut aller pour en savoir davantage, et voir ce que nous allons faire ensemble pour pouvoir maximaliser nos chances, pour pouvoir donner au Front populaire ivoirien le maximum de députés.
Source : RFI