Alors sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), Laurent Gbagbo a été envoyé, mardi 29 novembre 2011, aux Pays-Bas à la prison de Scheveningen de La Haye, pour y être incarcéré, mercredi matin 30 novembre 2011. En ce 29 novembre 2020, revoici le témoignage de l’ex-chef de l’Etat ivoirien, 9 ans après son transfèrement à la CPI.
Le vendredi 25 Novembre 2011, mes avocats ont appris en consultant le dossier Abidjan que j’allais être interrogé le lundi suivant, le 28, par un juge d’instruction dans le cadre de la procédure pour crime économique ouverte en toute illégalité, puisque ne respectant ni loi ni Constitution ivoirienne. Le juge d’instruction devait se rendre Korhogo. Mes avocats ont immédiatement, toutes affaires cessantes, sauté dans une voiture. D’Abidjan à Korhogo il y a 600 kilomètres d’une route difficile, mal carrossée, infestée de « coupeurs de route ». Mes avocats ont pris tous les risques.
A Korhogo, surprise, ils croisent dans les rues des greffiers et des juges de la cour d’appel d’Abidjan. Au moment de l’interrogatoire mené par le juge au palais de justice, j’ai flairé le traquenard. Dans un premier temps, j’ai refusé de répondre aux questions. J’ai souligné que tout cela était illégal. Le juge a remis l’interrogatoire au lendemain, mardi.
Ce jour-la, mardi 29, alors que l’interrogatoire a repris un magistrat se précipite dans la salle où nous nous trouvons et nous annonce que la CPI demande mon transfert à la Haye. Mes avocats objectent que seule la cour d’appel est habilitée à traiter d’une telle requête, et que si audience il doit avoir elle doit se tenir au siège de cette cour Abidjan. « Tous les magistrats de la cour d’appel sont là, nous rétorque-t-on, inutile d’aller à Abidjan ! »
Le piège…Par e-mail, vu l’urgence, maître Altit transmet à ses confrères un mémoire en défense qu’ils vont utiliser tout en demandant un report légitime fondé sur les dispositions du Code de procédure pénale et sur les standards internationaux. Les juges refusent. Moi, je savais que les dés étaient Pipés, et j’ai regardé toute cette minable comédie d’un œil résigné. L’audience a commencé.
Mes avocats ivoiriens, ceux qui étaient présents, ont voulu s’exprimer. C’est à peine si les juges les ont écoutés. Mais ils ont été courageux, ils ont insisté et ont fini par faire résonner la voix du droit et de la raison. Cela n’a pas suffit.
Les juges de korhogo étaient en contact permanent avec les responsables de la CPI, la Haye, leur communiquant à tout instant les développements de l’audience. Koffi Fofié et ses hommes présents dans la salle, armés de kalachnikovs, s’impatientent bruyamment quand ils sentent que les juges perdaient de leur enthousiasme.
Ça s’est passé comme ça, et ça n’a rien à voir avec le droit…ni avec rien de normal, d’ailleurs. On ne m’a même rien donné manger de la journée…Après l’audience, les gardes m’ont emmené en me disant que je rentrais dans la maison où j’étais détenu, et que je pourrais revoir mes avocats le lendemain. Mes avocats y ont cru !
Dans la voiture de Kouakou Fofié, mon geôlier, qui me transportait, j’ai vu que nous dépassions la route de la maison. J’ai demandé où nous allions : « On ne s’arrête pas ? » Il m’a répondu : « Non, on va l’aéroport. Il n’est pas éclairé et votre avion doit partir avant la nuit, 18 heures 30. » « Ou est-ce que je vais ? » Il n’a pas eu le courage de me le dire. Il a dit : « »Abidjan » J’ai rigolé, ça j’avais compris. Je crois qu’il a eu honte. En fait, nous sommes allé jusqu’à l’aéroport de Korhogo. Et de là, on m’a mis dans l’un des deux avions officiels de la Présidence.
GBAGBO Laurent