IRES – licenciements sur fond de soupçons de trafic de carburant : Que se passe-t-il à l’Ivoirienne de remorquage et de sauvetage en mer (IRES) ?
La direction de la compagnie division de la société espagnole Boluda, a procédé aux licenciements de 17 membres d’équipage officiellement pour un motif « d’insubordination » au début du mois de mai dernier. Les faits en question remontent au 9 avril. Une note de service émanant de la direction donne l’ordre de débarquer trois marins « de leurs remorqueurs respectifs » sans plus d’explications.
Le fait est inhabituel, les marins effectuent leur service du premier du mois en cours au premier du mois suivant. Devant la situation, les marins débarqués contactent leurs délégués du personnel et notamment Damiens Guy Abou et Etienne Kouamé Koffi. « Nous faisons alors toutes les démarches pour tenter de comprendre. Nous nous adressons à la direction des ressources humaines qui nous dit ne pas être au courant et appelons le DG et le directeur d’exploitation qui ne répondent pas », indique-t-il. Hervé Lefebvre, directeur général, assure pour sa part n’avoir reçu aucun appel. « Mon téléphone est ouvert. Personne n’a cherché à me joindre ».
Le lendemain, les délégués du personnel Etienne Kouamé Koffi et Damiens Guy Abou qui ne sont pas en poste, rejoignent leurs collègues. Une réunion s’improvise, à l’issue de laquelle les participants, 22 officiers, produisent une réponse à la note de la direction transmise à la DRH, dans laquelle ils écrivent : « Nous décidons que nos collègues restent à leur poste jusqu’à ce que les raisons de votre décision nous soient notifiées ».
« En fait, il n’y a pas d’affectation précise des marins. On se dit que s’ils rentrent à la maison par exemple, on peut le leur reprocher », justifie Etienne Kouamé Koffi. « Nous décidons que les personnes restent à bord mais elles sont relevées », précise le délégué du personnel. Un huissier viendra le jour suivant constater la présence des trois marins sur les navires.
Une demande d’explication sera donnée le 13 avril à tous les participants à cette réunion. Les marins ont 72 h pour y répondre. La sanction tombera le 30 avril pour 17 personnes parmi les 22 de la réunion : « licenciement pour faute lourde sans préavis et sans indemnité ». Le motif invoqué est celui d’un acte « d’indiscipline et d’insubordination ». Les cinq qui échappent au licenciement le sont « parce qu’ils n’étaient pas solidaires voire même absents et que l’on a noté leurs noms », justifie Hervé Lefebvre.
Des soupçons de trafic de carburant
Une sanction considérée comme disproportionnée par l’Inspection du travail qui a dû statuer notamment sur le licenciement de Koffi Kouamé Etienne, du fait de sa qualité de délégué du personnel. Si l’inspectrice Amagbegnon Reine Banga considère que « l’adresse des officiers en réponse à la note de service du 9 avril, reste dommageable dans certains des termes employés », elle évoque plusieurs circonstances qui devraient inciter la direction d’IRES à la modération dans sa sanction.
L’inspectrice considère par exemple, que leur attitude n’a pas entraîné de dysfonctionnements dans l’entreprise et même que « le Procès-verbal produit par l’huissier commis par IRES (…) n’établit pas clairement un refus du débarquement des marins concernés », soit l’insubordination. Elle juge en outre que l’ancienneté du délégué, 18 ans dans l’entreprise sans la moindre sanction, constitue une circonstance atténuante.
Côté IRES, le directeur général Hervé Lefebvre estime que « la décision est à l’appréciation de l’armateur » et se dit prêt à aller au tribunal sur ce licenciement. « C’est une insubordination grave, cela engage beaucoup d’anciens qui ne respectent pas un ordre. Il ne faut pas oublier que ce sont des officiers de la marine marchande » ; renchérit Bernard Mathelin, directeur d’exploitation.
L’inspection met cependant en lumière un autre élément. La décision, le 9 avril, de débarquer les trois marins est « une mesure conservatoire en attendant les résultats d’une enquête en cours de la police économique sur des soupçons de trafic illicite de carburant au sein de votre entreprise ».
Selon des sources bien informées, elle porterait sur un différentiel de carburant constaté sur deux remorqueurs. Le « Piriac » qui comptait dans ses soutes 52 000 litres le 28 mars, n’en contenait plus que 39 260 le 2 avril, déduction faite du carburant utilisé lors de la période de travail. Soit un différentiel d’environ 12 000 litres. Le teck comptait en revanche un surplus de 7 000 litres le 5 avril, il devait compter dans ses soutes 20 000 litres au lieu de 27 000 sondés.
Interrogé sur la question, le directeur général d’IRES nie tout lien entre cette affaire et les licenciements : « Ce sont deux choses. D’un côté, nous avons procédé au licenciement de 17 personnes pour insubordination. De l’autre, nous avons porté plainte contre X pour savoir où se trouve le carburant ». Une affirmation qui ne manque pas d’interroger alors que la plainte a été déposée le 13 avril dernier, soit le même jour que la demande d’explication aux participants à la réunion.
Chef mécanicien sur le teck, Damien Guy Abou explique ne pas comprendre ce qui leur est reproché : « Au moment de faire la passation à François Boga au début du mois d’avril, nous avons sondé ensemble et nous arrivions au même chiffre ». Le marin assure également que le service fluide chargé des contrôles n’est arrivé que le 3 avril du fait des fêtes de Pâques et met en doute les valeurs trouvées. « Nous nous demandons si ce n’est pas simplement un prétexte pour se débarrasser des plus anciens », interroge Etienne Kouamé Koffi.
Les résultats de l’enquête en cours de la police économique devraient permettre de savoir ce qu’il en est.
DORIAN CABROL, in L’ELEPHANT DECHAINE 608