Mandat contre Soro Guillaume : La Lettre du Continent a reconstitué quand, comment et pourquoi a été réalisé l’enregistrement brandit par Adou Richard
Au-delà de l’entreprise de communication menée par les deux camps, La Lettre du Continent a reconstitué quand, comment et pourquoi a été réalisé l’enregistrement à l’origine du mandat d’arrêt ivoirien contre Guillaume Soro.
Diffusé à la télévision nationale ivoirienne le 26 décembre et totalisant des dizaines de milliers de vues sur You Tube, l’enregistrement de 7 minutes où l’on entend l’ancien président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro expliquer qu’il peut mobiliser avec une « télécommande » certaines unités de l’armée ivoirienne est la justification officielle du mandat d’arrêt émis par Abidjan le 23 décembre, jour où Soro avait prévu de rentrer au pays ( LC n°814).
Qui? Sur l’enregistrement, Soro s’entretient avec un homme non identifié. Il ne s’agit pas du PDG du groupe Pefaco, Francis Perez, comme l’ont affirmé certaines parties ivoiriennes, mais d’une de ses relations, Olivier Bazin, qui travaille en Afrique depuis plus de trente ans, notamment dans les jeux au Tchad (LC n°424) et dans le négoce pétrolier (il fut l’agent de Gunvor en Côte d’Ivoire – AEI n°573).
Quand ? L’entretien a eu lieu à Paris à l’automne 2017. Les présentations ont été faites par Francis Perez, qui connaît Soro depuis le début des années 2000 et l’a rencontré une première fois à Paris, au printemps 2017, à l’hôtel Napoléon.
En août 2017, le PDG de Pefaco a reçu Soro deux jours à Ibiza, où il passait ses vacances, et a organisé un déjeuner réunissant Soro, Bazin et l’ancien gendarme de l’Elysée Robert Montoya, qui fut l’un des conseillers militaires de Laurent Gbagbo quand l’ex-président ivoirien bataillait contre les Forces nouvelles (FN) de Soro. A la suite de ce déjeuner, Bazin et Soro sont repartis ensemble pour Paris et ont eu plusieurs entretiens à l’hôtel Napoléon, mais aussi dans un appartement parisien. C’est de l’enregistrement d’un de ces face-à-face qu’ont été extraites les sept minutes diffusées par le procureur Christophe Richard Adou, le 26 décembre.
Pourquoi ? Les deux parties se connaissent, même si chacune assure que c’est l’autre qui a initié les contacts. Pefaco a des activités en Côte d’Ivoire, qui n’est cependant pas un pays majeur pour le groupe, qui n’y opère que trois salles de jeux, dont une à Marcory. Au moment où il a conversé avec Olivier Bazin, Soro surfait sur une crise qui voyait d’anciens combattants de son mouvement réintégrés dans l’armée ivoirienne réclamer des millions de F CFA au gouvernement et menacer de se mutiner. L’ancien chef rebelle devenu président de l’Assemblée nationale songeait alors à rompre avec Alassane Ouattara et à voler de ses propres ailes, et cherchait des soutiens.
Comment ? La présidence ivoirienne dispose de cet enregistrement depuis plus de deux ans : Alassane Ouattara en a fait régulièrement état aux membres de son premier cercle. Est-ce à dire, comme l’a affirmé le procureur Christophe Richard Adou, que ce sont les renseignements ivoiriens qui ont réalisé la captation ? Le ministre de la défense Hamed Bakayoko coordonne depuis plusieurs années une surveillance active des opposants ivoiriens, tout particulièrement en France, et a des échanges réguliers avec la DGSE. Le renseignement extérieur français, de son côté, garde un œil sur l’activité des leaders politiques ivoiriens, tout particulièrement sur le sol français.
LLC N°815 du mercredi 8 janvier 2020