73 ans du PDCI-RDA : De la lutte émancipatrice du peuple noir à la lutte pour la reconquête du pouvoir d’Etat en 2020 (Frédéric Grah Mel)
CONFERENCE DU PROFESSEUR FREDERIC GRAH MEL POUR LES 73 ANS DU PDCI-RDA SUR LE THEME :
LE PDCI-RDA, HIER, AUJOURD’HUI ET TOUJOURS
MARDI 09 AVRIL 2019 A LA MAISON DU PDCI-RDA A COCODY
Monsieur le Président du PDCI-RDA,
C’est un immense honneur qui m’échoit de devoir prendre la parole devant vous ce matin. Je vous remercie de votre présence effective et m’excuse par avance si mes propos devaient vous causer – ce que je n’espère pas, évidemment ! – le moindre désagrément.
Chères militantes et chers militants du PDCI-RDA,
Mesdames et Messieurs,
Lorsque le Comité des sages de votre parti m’a demandé de participer à cette journée des 73 ans du PDCI-RDA, la consigne qu’il m’a donnée était de délivrer, autour du thème « Le PDCI-RDA hier, aujourd’hui et toujours », un exposé accordé à un triple objectif : instruire les militants, les jeunes en particulier, de l’histoire du PDCI-RDA ; sensibiliser l’auditoire aux contraintes et aux exigences d’un parti de l’opposition que le PDCI-RDA est devenu entièrement aujourd’hui ; et enfin, de l’histoire du parti comme de ses épreuves du moment, dégager les leçons qui conduisent au renouveau et aux victoires nouvelles.
J’espère répondre au premier objectif en vous représentant quelques grands moments de l’épopée du PDCI-RDA. J’espère répondre au deuxième en racontant les rebondissements qui ont marqué la vie du PDCI-RDA depuis les années de la fin du règne du premier président du parti, le président Félix Houphouët-Boigny. J’ai redouté une certaine prétention à devoir évoquer la pérennité du PDCI-RDA. Mais je me suis demandé si ce sujet peut être vraiment éludé par notre génération, alors que, sous nos yeux, le parti de Félix Houphouët-Boigny, le deuxième parti le plus ancien d’Afrique noire après l’ANC, est exposé à l’acharnement de ceux qui veulent, au pire le voir disparaître, au mieux le voir renaître sous une autre forme. Je me suis dit qu’on pouvait au moins considérer leurs arguments et les discuter.
Permettez-moi donc, Monsieur le Président, chères militantes, chers militants, Mesdames, Messieurs, d’en arriver sans tarder à la première partie de mon exposé : le PDCI-RDA hier.
- LE PDCI-RDA HIER
Comment aborder le passé du PDCI-RDA sans déployer la toile de fond sur laquelle cette formation politique s’est projetée ? C’est la Conférence de Brazzaville qui formera la chiquenaude initiale.
La France est occupée par l’Allemagne depuis l’armistice du 22 juin 1940, et elle restera ainsi jusqu’au mois d’août 1944. Pendant les quatre années qui séparent ces deux dates, les colonies ont joué un rôle primordial dans la reconquête de la souveraineté de la métropole.
Leur engagement oblige le Comité Français de Libération Nationale (CFLN) installé à Alger depuis le mois de juin 1943 à s’interroger sur le sort des colonies. Et le CFLN décide de consacrer une grande réunion à cette question.
Cette réunion a lieu du 30 janvier au 8 février 1944 à Brazzaville, capitale de l’Afrique Équatoriale Française. C’est elle qu’on appellera la Conférence de Brazzaville. Elle débouche sur trois décisions majeures :
- La Conférence de Brazzaville écarte toute idée d’autonomie des colonies et toute hypothèse d’évolution des territoires colonisés hors du bloc français.
- Mais elle décide d’accroître les droits syndicaux des populations des colonies, désormais autorisées à créer des Syndicats autonomes.
- Elle décide également d’autoriser les mêmes populations des colonies à élire des députés à l’Assemblée Nationale française, au Palais-Bourbon.
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Combien imaginent les bouleversements que la Conférence de Brazzaville va introduire rapidement sur le territoire ivoirien ? Cinq mois presque jour pour jour après ces assises, l’autorisation donnée aux Africains de créer des syndicats autonomes trouve à s’illustrer à travers la création du Syndicat Agricole Africain (SAA).
C’est à ce moment que va se projeter, pour la première fois sur l’échiquier territorial ivoirien, l’homme qui s’appellera Félix Houphouët-Boigny. Pour l’heure il n’est connu que sous le nom Félix Houphouët Djaha.
Il est médecin auxiliaire de son état, sorti de l’École de médecine africaine de Dakar en 1925. Il a exercé son art pendant 14 ans, de 1925 à 1939. D’abord deux années de stage, 1925-1927, à l’Hôpital central d’Abidjan. Il est ensuite affecté à Guiglo, de 1927 à 1929, lorsqu’il reçoit son premier poste de titulaire. Une ville qui, vingt ans plus tard, accueillera également un jeune et brillant collégien du nom d’Henri Konan Bédié, pour toute la durée de ses années du 1er cycle (6ème – 3ème), d’octobre 1947 à juin 1951. N’est-ce pas étrange, tout de même, que les deux hommes qui se sont succédé, les premiers, à la présidence de la Côte d’Ivoire aient déjà connu, plus tôt dans le temps et dans l’espace, cette première succession de Guiglo ? De là, le médecin auxiliaire Houphouët Djaha part à Abengourou de 1929 à 1934, puis à Dimbokro de 1934 à 1936, et enfin à Toumodi (1936-1938).
Depuis le mois de juillet 1939, il est retourné vivre dans son village natal de Yamoussoukro. Il y a été appelé pour assurer la succession, à la tête du canton des Akoués, de son jeune frère Augustin Djaha Kan, décédé le 21 décembre 1938, à la suite d’un conflit foncier.
Augustin avait développé deux grosses plantations, l’une à Yamoussoukro même, l’autre à Toumbokro, sur la route de Bouaflé. Ce sont deux plantations dont le frère aîné hérite naturellement. Félix Houphouët bascule ainsi du métier de médecin auxiliaire dans la Fonction publique à celui de planteur et d’opérateur économique privé.
À ce titre, il se retrouve dans un syndicat des planteurs de Côte d’Ivoire qui existe depuis 1943 et qui s’appelle le Syndicat Agricole de Côte d’Ivoire, (SACI). Ce syndicat est une organisation mixte, qui regroupe indifféremment planteurs européens et planteurs africains. Malheureusement l’engagement des planteurs africains n’avait eu aucune incidence sur les nombreux griefs qu’ils avaient soulevés au fil des mois :
la menace de leur réquisition pour les plantations européennes restait maintenue ;
les doubles prix d’achat des produits, favorables aux seuls planteurs européens, se perpétuaient ;
les injustices dans l’accès à la main d’œuvre forcée persistaient ;
les difficultés pour acquérir du matériel agricole s’étaient multipliées.
L’autorisation de créer des syndicats autonomes donnée aux Africains par la Conférence de Brazzaville ouvre une porte dans laquelle le planteur Houphouët va immédiatement proposer à ses collègues planteurs africains de s’engouffrer. Joseph Anoma raconte qu’Houphouët avait envoyé, à tous les planteurs, des messages pour une réunion à l’Étoile du Sud , chez Georges Kassi, mais qu’ils n’étaient qu’une poignée d’amis à avoir répondu à cet appel, huit au total. Il y avait : Georges Kassi lui-même, l’hôte de la réunion, Félix Houphouët qui en avait pris l’initiative, Lamine Touré de Grand-Bassam, Djibril Diaby d’Odienné, résidant à Grand-Bassam lui aussi, Kouamé N’Guessan, ancien instituteur propriétaire de plantations à Oumé et Daloa, Gabriel Dadié, planteur à Agboville, Fulgence Brou, Joseph Anoma .
Cette réunion a lieu le 10 juillet 1944, et c’est elle qui crée, d’une scission avec le SACI, le Syndicat Agricole Africain (SAA). Moins d’un mois plus tard, le 8 août 1944, un Arrêté signé du gouverneur André Latrille autorise le SAA à exister et exercer ses activités.
Le Syndicat Agricole Africain est donc la première organisation née des décisions de la Conférence de Brazzaville. La seconde sera le PDCI.
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Outre la création de syndicats autonomes, la Conférence de Brazzaville avait décidé que les Africains puissent élire des députés à l’Assemblée nationale française. C’est en octobre 1945 que cette décision est mise à exécution pour la première fois. Le premier tour du scrutin se tient le 21 octobre et le second tour le 18 novembre 1945.
Félix Houphouët, président du Syndicat Agricole Africain, décide d’être candidat. Et la campagne électorale fait converger vers lui un certain nombre d’entités actives sur l’espace ivoirien, que ce soient des forces sociales ou des notabilités.
Ce sont ces entités qui, après l’élection, vont se rencontrer et s’agglomérer pour former le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire.
La première d’entre elles sera évidemment le Syndicat Agricole Africain. Dès sa création en juillet 1944, il comptait 5000 membres qui forment une force sociale et un levier électoral potentiel évidemment essentiels.
L’UFOCI. Outre le Syndicat Agricole Africain, il y a l’Union Fraternelle des Originaires de la Côte d’Ivoire. L’UFOCI est une association ancienne, dont la création remonte à 1929. Il y avait eu en 1928 un conflit, le tout premier de l’histoire de la Côte d’Ivoire moderne, entre autochtones et étrangers. Et l’UFOCI est apparue comme une des créations consécutives à cet affrontement. Elle regroupait des cadres d’origines diverses pourvu qu’ils fussent, comme on disait à l’époque, des “Côtivoiriens”. L’UFOCI fait partie des groupes rares qui avaient tenu la flamme de l’animation culturelle en Côte d’Ivoire tout au long des années 30. Ses bals étaient célèbres. C’est sur ses cendres que sera créé, dans les années 50, le Cercle Culturel et Folklorique de la Côte d’Ivoire (CCFCI). C’était d’ailleurs dans la salle de spectacles de l’UFOCI, sise entre les avenues 8 et 9 et les rues 7 et 8 à Treichville, que se tenaient les célèbres conférences du Cercle. Le président de l’UFOCI était Jean Delafosse, un ami d’Houphouët, qui ne pouvait pas rester insensible à l’idée de ce dernier de créer un parti politique.
L’UOCOCI. Après le SAA et l’UFOCI, la candidature d’Houphouët Djaha avait été encore soutenue par l’Union des Originaires des Cercles de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, en abrégé UOCOCI.
Association plus jeune que l’UFOCI, l’UOCOCI est née le 30 juillet 1944, soit vingt jours après le SAA. Elle est issue d’une extension de la MUTUALITÉ BÉTÉ aux cercles de Grand-Lahou, Sassandra, Tabou et Man. La MUTUALITÉ BÉTÉ était une société d’entraide, qui avait pour but d’accueillir et d’assister les ressortissants du pays bété immigrant à Abidjan. En tant que telle, elle ne concernait que les originaires de Gagnoa et de Daloa. L’UOCOCI accueille et assiste à Abidjan des personnes de tout l’ouest ivoirien. Elle regroupera des personnalités comme Martin Clark Blagnon de Tabou, Antoine Gauze et Prosper Séry de Daloa, Dapletz Jean et Marcel Laubhouët de Grand-Lahou, Thou Gaston et Baye Émile de Man, Niaoulé Joseph, Jules Guei Aguichau et Kissi Gris Camille de Gagnoa, René Séry Koré de Soubré, Étienne Djaument et Frédéric Gogoua de Sassandra. Toutes ces personnalités s’étaient distinguées en octobre et novembre 1945 par leur mobilisation efficace aux côtés d’Houphouët. C’était logique qu’elles figurent désormais parmi les pionniers de son nouveau parti politique.
LES GEC. Les soutiens du candidat Houphouët, c’étaient encore les Groupes d’études communistes d’Abidjan, plus connus sous leur sigle GEC. Il n’y avait certes pas de Parti Communiste en AOF et AEF dans l’immédiat après-guerre, mais il y avait des communistes qui, selon les territoires, animaient des “bureaux d’études” ou des “cercles d’études” communistes. Ce sont ces structures qui, à partir de l’éviction du commandement de Vichy en AOF en 1943, sont devenues, en accord avec la délégation du PCF installée à Alger, les “groupes d’études communistes”.
Les membres européens des GEC de Côte d’Ivoire s’appelaient Rigo, Philippe Franceschi, Pouillat, Tiberghien, Du Tremblay, Jean Lambert . Les membres africains étaient Germain Koffi Gadeau, Doudou Guèye, Bailly Tagro, Auguste Denise et Gris Camille.
On n’aura pas tout dit des GEC si on ne signale pas qu’ils comptent, parmi leurs objectifs, la création d’un parti politique démocratique ou progressiste destiné à rassembler les Africains sur la base du programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Cette seule appellation suffit à indiquer la source où le PDCI a puisé sa substance idéologique.
LES COMITÉS ÉLECTORAUX NON IVOIRIENS. Dans la campagne qu’avait menée Houphouët en octobre et novembre 1945, étaient enfin intervenus, aux côtés du SAA, de l’UFOCI, de l’UOCOCI et des GEC, des comités électoraux non ivoiriens. Déjà à cette époque existaient en Côte d’Ivoire une Association des Daho-Togolais, une Association des Sénégalais, une Association des Guinéens, une Association des Soudanais (Maliens). Toutes avaient offert leur base à la formation de comités électoraux lors du scrutin. Le soutien de ces comités non ivoiriens fut si déterminant qu’il s’avéra impossible de rien entreprendre par la suite sans tenir compte des communautés étrangères. Le PDCI résolut de les intégrer dans son organigramme. C’est de cette époque que date la décision – dénoncée plus tard avec ardeur par l’opposition – du vote des étrangers en Côte d’Ivoire.
Ce sont donc les animateurs de ces différentes organisations qui se regroupent en avril 1946, à la demande de leur champion, le jeune député Félix Houphouët-Boigny, pour créer le PDCI.
Houphouët-Boigny lui-même, retenu à Paris par les travaux parlementaires, n’était pas présent lors de la création du parti. L’assemblée constitutive, présidée par Fulgence Brou en sa qualité de “doyen d’âge des personnes réunies”, a lieu, comme pour le SAA deux ans plus tôt, à l’Étoile du Sud, le mardi 9 avril 1946 à 18 heures. Un mardi comme en 2019 ! Trente-quatre personnes y prennent part : Akré Ahobaut, Jacques Aka, Lambert Aka N’Drin, Martin Clark Blagnon, Gaston Boka Méné, Fulgence Brou, Casanova, Dorothée Da Sylva, Ousmane Diallo, Babacar Diop, Étienne Djaument, Philippe Franceschi, Germain Koffi Gadeau, Lucien Koffi, Antoine Konan Kanga, N’Drin Konan, Raphaël Konan, Félicien Konian Kodjo, Germain Coffi Kouadio, Koffi Kouadio, Rémy Kouadio, Kélétigui Kouisson, Augustin Lodougnon, Léonard Mé Koné, Nicolas, Paulin Ouinsou, Bernard Sangaret, René Séri Koré, Fily Sissoko, Papa Sow, Turbé Sow, Toubia, Ali Traoré, Pohi Zébango .
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DU PDCI TOUT COURT AU PDCI-RDA. La première action publique du PDCI après sa création n’est pas nationale mais continentale. Ce sera, à travers son chef Félix Houphouët-Boigny, la création du RDA.
L’Assemblée Constituante de Paris dans laquelle arrive Houphouët en décembre 1945, après son élection comme député du 2ème collège de la Côte d’Ivoire vote, le 5 avril 1946, la loi sur la suppression du travail forcé, et le 7 mai suivant, la loi sur la citoyenneté présentée par Lamine Guèye pour obtenir le statut de citoyens français à tous les ressortissants des colonies.
Ces avancées déplaisent aux colons des territoires d’Afrique, qui décident donc de se mobiliser pour obtenir leur suppression. Du 30 juillet au 24 août 1946, ces colons blancs de l’Afrique française organisent à Paris, à l’initiative de Jean Rose, président de la Chambre d’Agriculture de Côte d’Ivoire et de l’Association des colons de Côte d’Ivoire, les États généraux de la colonisation française. Et à cette occasion, ils réclament purement et simplement l’abrogation des avancées sociales et démocratiques obtenues par les députés africains durant la première Constituante.
Dans ces conditions, s’opposer à ce qu’ils appelaient « l’offensive réactionnaire » devient un défi pour ces députés africains. Et ils décident d’organiser à Bamako, le 18 octobre 1946, la réunion qui aboutira à la création du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Les promoteurs du RDA écrivent : « Rien n’entamera notre volonté de lutte car les masses africaines entraînées par le grand courant d’émancipation qui parcourt le monde se raidissent et résistent. »
Après sa création, le RDA impose à tous les partis des territoires qui lui sont affiliés de devenir des sections territoriales. C’est ainsi que, six mois après la naissance du PDCI, cette formation se rebaptise pour devenir le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement Démocratique Africain, en abrégé PDCI-RDA.
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Que dire de la vie du PDCI-RDA de sa naissance en 1946 à l’indépendance de notre pays en 1960 ? Les six mois d’existence du PDCI, qui vont du 9 avril au 18 octobre 1946, sont sans doute une période trop courte pour qu’on puisse en tirer un bilan. On peut tout de même retenir la contribution du parti à la réélection de Félix Houphouët-Boigny, le 2 juin 1946, à la seconde Assemblée Constituante . Le PDCI, grâce à un quadrillage du terrain impressionnant et à un dynamisme constant, avait efficacement battu sa campagne à travers toute la colonie et avait convaincu la majorité des électeurs de voter massivement pour son candidat.
Ce quadrillage du terrain et ce dynamisme des premiers moments sont des traits du parti qu’il faut sans cesse rappeler aux militants d’aujourd’hui. La longue présence aux commandes dans les années de l’indépendance, les facilités qui sont attachées à la gestion des affaires, « les hochets du pouvoir » pour reprendre un mot du président Bédié dans Les chemins de ma vie, tout cela semble n’avoir laissé du PDCI-RDA d’aujourd’hui que l’image du flegme et de la timidité, voire de la peur. Cela est étrange. Le PDCI avait été un parti actif, un parti nerveux, un parti ardent. Il n’est pas compréhensible que ses héritiers, instruits du seul attachement de leurs aînés à la paix, aient littéralement dégénéré d’une combativité qui faisait aussi la réputation et la fierté de leur parti.
Les mois et les années qui suivent montrent, dans tous les cas, un PDCI-RDA fidèle à la vigueur et à la popularité du PDCI. C’est le 27 octobre 1947 que s’ouvre à Treichville son 1er congrès ordinaire. Le PDCI-RDA n’est âgé que d’un an. Mais il annonce déjà 71 sous-sections, représentées à ce 1er congrès par 271 000 personnes descendues de l’ensemble du territoire. Il s’agit visiblement d’un parti de masse, animé par des militants passionnés, des militants motivés par les idéaux de solidarité, d’émancipation sociale, de démocratie que s’est fixés le parti.
Pendant les dix années qui vont de 1946 à 1956, la lutte du PDCI-RDA contre les infirmités sociales est tout simplement héroïque. Le parti ne tolérait pas que les opérateurs économiques indigènes, les planteurs notamment, ne soient pas traités sur un pied d’égalité avec leurs collègues européens. Non seulement ces indigènes étaient victimes de restrictions syndicales, mais en outre ils étaient exclus d’un certain nombre d’avantages comme par exemple la diminution de la fiscalité consentie aux capitaux privés d’origine métropolitaine. On estimait devoir diminuer cette fiscalité des capitaux privés européens pour compenser ce qu’on appelait la faiblesse des profits réalisés dans les colonies. À la longue, la collusion de la haute administration et des colons français apparut comme une anomalie structurelle. Elle fut ressentie comme inacceptable lorsqu’elle s’était manifestée parfois par une indifférence de l’administration envers les décès d’indigènes consécutifs à des abus flagrants de leurs patrons blancs.
Le RDA, prenant fait et cause pour les victimes de ces agissements, devint un vaste front de contestation, coutumier d’une occupation du terrain à la fois spectaculaire et mordante. Il avait un service d’ordre qui agissait souvent comme une véritable police. Il avait un système de propagande qui réalisait de meilleures performances que les meilleurs systèmes de communication d’aujourd’hui. Il avait des méthodes de recrutement qui étaient d’une efficacité incomparable. Il avait un système de cotisation qui s’apparentait à une véritable levée d’impôts. Il avait des tribunaux particuliers qui réduisaient le périmètre de la justice officielle. C’était un parti qui entendait montrer qu’il ne négligeait rien pour imposer ses vues, sa loi, son empire. Lorsque Félix Houphouët-Boigny confie un jour au Laurent Gbagbo de la turbulence syndicale et de l’obstination politique qu’hélas il lui ressemble, il sait parfaitement ce qu’il dit. Et il énonce un trait du PDCI-RDA qu’il n’est pas inapproprié de rappeler aux militants actuels de ce parti. Pourquoi ne pas rappeler que, même aux époques où le chef prêchait inlassablement la tempérance, plusieurs de ses lieutenants, comme Gabriel d’Arboussier ou Daniel Ouezzin Coulibaly, illustraient un autre visage du parti, celui de l’énergie et de la pugnacité ?
1949 et 1950 sont les deux années où cette lutte du PDCI-RDA atteint son apogée. L’administration et le parti d’Houphouët deviennent, à partir de ces années, deux cohérences contradictoires, deux logiques antithétiques, ayant chacune dans son dessein, la disparition de l’autre. C’est l’époque où Paris affecte sur le territoire ivoirien le plus ardent de ses gouverneurs depuis Gabriel Angoulvant (1908-1916), Laurent-Élisée Péchoux (1948-1952).
La turbulence du PDCI-RDA entraîne l’arrestation, le 6 février 1949, et l’incarcération à Grand-Bassam de plusieurs militants RDA, parmi lesquels huit figures de proue du mouvement : René Séry Koré, trésorier du Comité de coordination du RDA, Albert Coffi Osmane Paraiso, membre du Comité directeur, secrétaire à la Propagande, Jean-Baptiste Mockey, membre du Comité directeur, secrétaire administratif, Bernard Dadié, membre du Comité directeur, délégué à la Presse, Williams Jacob, responsable à l’Éducation, Ekra Vangah Mathieu, secrétaire général de la sous-section de Treichville, Lamad Kamara, secrétaire général de la sous-section d’Adjamé, Philippe Lawani Vieyra, secrétaire à l’Organisation de la sous-section d’Adjamé .
La même turbulence se solde par la mort de Victor Biaka Boda à Bouaflé le vendredi 27 janvier 1950.
Ce sont deux événements qui ne manquent pas d’ébranler le président du PDCI-RDA. Houphouët-Boigny se retire en France, réfléchit longuement et prend la décision du désapparentement. Il met fin, en d’autres termes, à la présence du RDA dans le groupe parlementaire communiste au Palais-Bourbon. Les communistes étaient soupçonnés d’être les formateurs et les principaux protecteurs du RDA dans les territoires, et cela motivait, de la part de l’administration, une hostilité féroce envers leurs amis et partisans.
La décision du désapparentement est annoncée le 18 octobre 1950. À partir de là, le PDCI-RDA devient plus modéré, et sa nouvelle attitude installe les conditions qui favoriseront l’entrée de Félix Houphouët-Boigny dans le gouvernement français le 2 février 1956.
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Le désapparentement ne fait pas que favoriser un rapprochement entre Houphouët-Boigny, le PDCI-RDA et l’administration française. Il favorise également un phénomène historique en Côte d’Ivoire, la marche du pays vers le Parti unique.
Comment cela se passe ? En avril 1946, en même temps que les partisans d’Houphouët-Boigny créaient le PDCI, les partisans de son principal adversaire à l’élection d’octobre-novembre 1945, Kouamé Binzème, avaient décidé de créer eux aussi un parti politique qu’ils avaient appelé le Parti Progressiste de Côte d’Ivoire (PPCI).
Ces deux formations, PDCI-RDA et PPCI, n’étaient pas les toutes premières du territoire ivoirien. Elles avaient une aînée qui était la section ivoirienne de la SFIO, implantée sur le territoire depuis juillet 1937, dans la foulée de l’avènement du Front populaire l’année précédente en Métropole .
À ces trois formations politiques – PDCI-RDA, PPCI et SFIO – étaient venues s’ajouter deux nouveaux partis : le Bloc Démocratique Éburnéen (BDE) créé en janvier 1949 par Étienne Djaument, un transfuge du PDCI-RDA, et l’Union des Indépendants de la Côte d’Ivoire (UDICI), née en juin 1949 dans les cercles de Bouaké et Dimbokro, soutenue en sous-main par l’administration pour amoindrir l’influence d’Houphouët-Boigny dans le pays baoulé. À la fin de cette même année 1949, l’UDICI s’ouvre à des transfuges du PDCI originaires du Nord, pour former l’Entente des Indépendants de Côte d’Ivoire (EDICI).
D’ailleurs en 1951, à l’occasion du scrutin pour la deuxième législature de l’Assemblée nationale française d’après-guerre, PPCI, BDE et EDICI contractent une alliance électorale sous le nom de Parti de l’Union Française de Côte d’Ivoire (PUFCI). Les grands noms de cette formation sont : Sékou Sanogo, président, Kacou Aoulou, secrétaire général, Nanan Akué, secrétaire général adjoint, Tanon Mangoua Clément, trésorier général, Blaise N’Dia Koffi, trésorier général adjoint, Quao Gaudens, commissaire aux comptes, Tidiane Dem, inspecteur des Sections, et Capri Djédjé, commissaire à l’Information .
Une raison essentielle dressait toutes ces formations contre le parti politique d’Houphouët-Boigny : c’était l’influence des Communistes sur le PDCI-RDA et l’appartenance du chef de ce parti au groupe parlementaire communiste au Palais-Bourbon. C’est sur cette toile de fond, souvenons-nous, qu’avaient eu lieu à Treichville les très violents affrontements du 6 février 1949.
Après le désapparentement du 18 octobre 1950, la raison de la confrontation n’existe plus. Le PDCI-RDA entre dans une nouvelle dynamique qui l’incline à prêcher désormais la paix, le dialogue, l’unité de tous les Ivoiriens. Cette dynamique permet à son président à la fois de chercher à freiner l’hémorragie des militants et de tendre la main aux autres formations. Mais l’homme est assez bon politique pour savoir que ces appels ne doivent pas empêcher le parti qu’il dirige de rester au centre du jeu. Son lieutenant Ouezzin Coulibaly déclare au congrès constitutif de la Convention Africaine où il représente le RDA en janvier 1957 à Dakar : « Aucun des pays sous-développés qui sont arrivés à leur majorité politique n’a pu y parvenir qu’en donnant la primauté à un parti tantôt unique, parfois tellement majoritaire qu’il contrôlait tous les secteurs de la vie sociale » .
Pour en arriver là, les contacts du PDCI-RDA avec les autres formations durent cinq ans, de 1951 à 1956. Le 6 octobre 1951, le président du PDCI-RDA tient un meeting au stade Géo André d’Abidjan pour confirmer publiquement, devant tous les Ivoiriens, son divorce avec les communistes. Il reconnaît clairement et humblement que les récentes violences enregistrées sur le territoire – sous-entendu les violences de février 1949 – ont fait naître de nombreuses rancœurs. Il affirme que les rancœurs, même légitimes, ne sont pas des attitudes politiques. Et il leur oppose « l’union » comme « une nécessité vitale » à la construction du pays. « L’entente pour une politique constructive est possible, déclare-t-il ce jour-là. Il suffit de le vouloir ensemble. »
La déclaration solennelle de ce 6 octobre 1951 est, au niveau du territoire, un acte fondateur. Elle donne le départ, chez le chef du RDA, à un discours qui sera, par-delà les ans, un prêche constant et inlassable sur les thèmes du rapprochement de tous, de la collaboration avec le gouvernement, de l’entente entre les adversaires de la veille.
Le 21 mai 1956, les contacts souterrains qui accompagnent ce discours débouchent sur un nouveau meeting dans le même stade Géo André. Les personnes qu’on voit se succéder au micro sont Félix Houphouët-Boigny du PDCI-RDA, Étienne Djaument du BDE, Kacou Aoulou du PPCI, le docteur N’Diaye Guirandou et Me Amadou Diop de la SFIO, Charles Borg, gérant de la Coopérative des fonctionnaires, membre de la section ivoirienne de l’UDSR, et le docteur Augustin Djessou Loubo, jeune turc du PDCI-RDA. Le 2 octobre 1956, tous sont déclarés membres du PDCI-RDA avec l’annonce, faite ce jour-là, du ralliement du PPCI à ce parti. C’est à ce jour que, personnellement, je ferais démarrer la tranche de l’histoire du PDCI-RDA appelée Le PDCI-RDA aujourd’hui.
- LE PDCI-RDA AUJOURD’HUI
Le parti unique, devenu effectif en 1957 sous l’appellation PDCI-RDA, conduit la Côte d’Ivoire à la souveraineté nationale en 1960. Sous son égide, le pays se voit propulsé dans un développement fulgurant. Des villes sont construites de toutes pièces, notamment grâce aux fêtes tournantes de l’indépendance organisées pendant 19 ans dans des régions différentes. De bonnes infrastructures routières, énergétiques et hôtelières sont édifiées partout pour répondre aux exigences de la modernité et de l’activité économique. Notre pays attire les investisseurs et, avec leur appui, se donne les bases sur lesquelles, après les années fastes, il a survécu aux effets pervers des plans d’ajustement structurel et à la stagnation due aux crises qui l’ont secoué continuellement depuis 1999.
Ici, je ne résiste pas à la tentation de saluer le ministre qui, malgré son extrême jeunesse puisqu’il n’avait que 32 ans en 1966, était jugé digne de détenir le portefeuille de l’Économie et des Finances. On cherchait une compétence locale pour assurer la succession de l’immense Raphaël Saller. Non seulement la responsabilité offerte était une gageure, mais il fallait, en outre, l’exercer pendant les deux premières années (1966-1968) comme ministre délégué auprès d’un président Félix Houphouët-Boigny précédé par la réputation d’une vigilance et d’une méticulosité à toute épreuve. Monsieur le ministre Bédié, je voudrais me permettre de vous dire merci, au nom de la Côte d’Ivoire, pour ce moment mémorable de notre histoire nationale.
Toujours sous l’égide du parti unique, la Côte d’Ivoire connaît, au plan politique, une stabilité remarquable, notamment après la réduction des opposants du régime au silence entre 1963 et 1967. À la mort du président Houphouët-Boigny en décembre 1993, après 33 années d’une gestion du pays par le PDCI-RDA globalement extraordinaire, la Côte d’Ivoire dispose d’un réseau diplomatique remarquable et jouit de l’admiration et du respect du monde entier.
Mais comme nous l’enseignent tous les livres de sagesse, il y a un temps pour toute affaire sous les cieux, et le parti unique vit venir la fin du son temps, d’ailleurs dans le monde entier. Dans notre pays, il est enterré le 30 avril 1990.
Le PDCI-RDA consent alors à son éclatement. Pour occuper la partie du terrain qu’il avait laissée libre, on voit surgir une floraison bigarrée de formations politiques. Elles atteindront, entre 1990 et 1996, le pléthorique effectif de quatre-vingt dix .
Les partis politiques ont vocation à conquérir le pouvoir d’État et à l’exercer. Dans notre pays, cet objectif fait surgir, après la restauration du multipartisme, une double confrontation. Une première oppose, comme il se doit, le parti au pouvoir, c’est-à-dire le PDCI-RDA, et ses contestataires regroupés au sein de l’opposition. Une seconde confrontation oppose, comme il ne se doit pas, deux fractions du parti au pouvoir, le même PDCI-RDA.
Entre 1990 et 1993, avant même la disparition du président Houphouët-Boigny, cette palette insolite de confrontations apparente notre pays à une basse-cour livrée à un effarant concert cacophonique. Les partis d’opposition n’étaient pas les seuls qu’on entendait dénoncer, selon eux, la dictature, la corruption, le tribalisme et le bradage de l’économie nationale mis en œuvre par Félix Houphouët-Boigny et le PDCI-RDA. Leurs attaques du gouvernement issu du PDCI-RDA étaient relayées et renforcées par des assauts montant du cœur même du même parti. La raison de cette anomalie ? Une insidieuse division interne qui n’aura de cesse, depuis 1990, d’exposer le PDCI-RDA à l’implosion.
Lorsque le Président Houphouët-Boigny disparaissait le 7 décembre 1993, cette division n’était pas encore résorbée. Elle aurait même pu produire une terrible déflagration dans le pays entier puisqu’il s’agissait d’un moment de prise du pouvoir et qu’étaient réunies les conditions d’un accès de violence. La violence a été conjurée, mais nous savions tous que l’unité nationale était ébranlée, que surtout l’unité du PDCI-RDA était très gravement fragilisée. Les discours de rejet mutuel faisaient florès, et la main d’œuvre nécessaire pour en découdre était prête de part et d’autre. Chacun de vous, j’en suis sûr, se souvient du gaz qui avait chargé l’air qu’on respirait en Côte d’Ivoire à cette époque. Il suffisait d’une bûchette pour que tout flambât. Dans une très large part, le sinistre n’avait été évité que par miracle.
Ces développements de l’immédiat après-Houphouët n’ont pu infirmer l’avertissement biblique qui veut que tout royaume divisé contre lui-même courre à sa ruine. D’abord l’implosion redoutée s’est effectivement produite avec la scission du PDCI-RDA fondatrice du RDR en février 1994. Avant cet événement et longtemps après, nous avons eu droit à un débat politique exécrable, dont tous les thèmes, quelle qu’était leur origine, avaient répandu le levain fétide d’une décomposition sociale à la fois vertigineuse et spectaculaire. Et le cycle s’était bouclé avec la perte du pouvoir d’État par le PDCI-RDA en décembre 1999.
Après un intermède de dix ans dans l’opposition et dans la banalité citoyenne, le PDCI-RDA se trouve associé aux affaires, à la suite d’une alliance politique avec le RDR. L’initiative était incroyable. Mais pourquoi la prophétie d’Isaïe n’aurait-elle pas pu s’accomplir ? Pourquoi le loup et l’agneau n’auraient-ils pas pu habiter ensemble, le léopard et le chevreau se coucher côte à côte, le veau et le lionceau partager leur repas, le lion et le bœuf manger du fourrage, et l’enfant étendre la main sur le trou du cobra ? Cette stratégie était d’autant plus indispensable que sans elle, la participation au pouvoir d’État était simplement inenvisageable pour le PDCI-RDA, dans une compétition à trois concurrents.
- LE PDCI-RDA TOUJOURS
Une fois associé aux affaires, comment conserver le pouvoir et surtout comment en devenir le détenteur n°1 ? Cette interrogation n’est qu’une autre manière de poser le problème de la pérennité du PDCI-RDA. La haute direction du PDCI-RDA a cru pouvoir y répondre le mercredi 17 septembre 2014. C’est ce jour-là que le président Henri Konan Bédié a lancé ce qu’on a immédiatement baptisé « l’Appel de Daoukro » . Une déclaration de quelque 730 mots engageant toutes les structures du PDCI-RDA et des partis composant le RHDP à soutenir la candidature du président Alassane Ouattara, président sortant, à l’élection présidentielle de 2015.
D’après le président Bédié, cette proposition visait deux objectifs : « d’abord assurer le succès du RHDP aux élections de 2015 dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire et de la paix ; ensuite aboutir à un parti unifié, dénommé PDCI-RDR, pour aider la Côte d’Ivoire, étant entendu que le PDCI et le RDR sauront établir entre eux l’alternance au pouvoir dès 2020. »
Aussitôt l’Appel de Daoukro, fusent de toute part des réactions et surtout des objections diverses. Les plus indignées n’étaient autres que les objections relatives au thème de la pérennité du PDCI-RDA ou plutôt de la disparition du PDCI-RDA. Pourquoi cacher que le parti avait lui-même pris un risque grave en suggérant la création d’un parti unifié dénommé PDCI-RDR ?
Monsieur le président du parti, je souhaite que vous vous représentiez le soulagement que vous avez procuré à des millions de vos compatriotes, à l’intérieur du PDCI-RDA mais aussi à l’extérieur, lorsque, durant vos vœux de l’année 2018 aux militants, vous avez eu à leur adresse ces quatre mots simples : « Longue vie au PDCI-RDA ! » Quatre mots simples que j’ai été encore, personnellement, heureux de réentendre de votre bouche il y a un instant.
L’alternance que vous aviez proposée au partenaire principal de la plateforme RHDP était une solution de sagesse. Elle devait favoriser une dévolution plus certaine du pouvoir à chaque partie de l’alliance. Elle devait introduire dans l’exercice de la responsabilité suprême une cadence où chaque partie aurait aisément et sûrement trouvé son compte.
C’est malheureusement à Daoukro même, sur les lieux où l’Appel éponyme avait été lancé, qu’il lui avait été opposé une fin de non recevoir. Votre hôte déclarait ce jour-là devant la presse : « Il est clair qu’il y aura l’alternance puisque moi je ne serai plus candidat en 2020. Ce serait un parti unifié. L’alternance veut dire qu’il faut essayer une autre personne. Je respecterais bien sûr la Constitution. Par conséquent, il n’y aurait pas de RDR, de PDCI, de l’UDPCI. À partir du moment où il y a un parti unifié, il y aura naturellement une alternance à cette occasion, avec quelqu’un qui prendra ma place à cette période-là. Et bien sûr, nous serons là, le président Bédié et moi, je le souhaite, pour aider cette personne ou cette équipe à continuer de bien gouverner la Côte d’Ivoire. »
Cette déclaration montrait distinctement que, depuis la première minute, il n’était pas question pour votre partenaire principal au sein de l’alliance, d’une alternance en 2020 en faveur du PDCI-RDA. Le propos du président Alassane Ouattara ne varierait jamais par rapport à cette première réaction.
Le voici par exemple, interrogé par la presse le dimanche 8 mars 2015 à San Pedro, à la fin d’une visite d’État de cinq jours qu’il termine dans le Bas-Sassandra. La question porte sur le même sujet de l’alternance en faveur d’un cadre du PDCI-RDA. La réponse est la suivante : « La priorité que j’ai indiquée à tous et je le répète, c’est que nous devons travailler au parti unifié, parce qu’en réalité le PDCI s’est éclaté en plusieurs morceaux, et même à l’intérieur de chaque parti, il y a des voix discordantes. (…) Une fois que le parti est unifié, le problème est plus simple à résoudre. Donc je ne me fais pas de soucis. » L’Appel de Daoukro, a-t-il poursuivi, « donne une visibilité sur la stabilité du pays. C’est cela le plus important. Les questions de personnes ne m’intéressent pas parce que je veux vraiment les meilleurs pour la Côte d’Ivoire et les meilleurs pour me succéder. »
On voit clairement que l’explication présidentielle du 8 mars 2015 à San Pedro ne différait en rien de celle du 17 septembre 2014 à Daoukro. L’une comme l’autre insistaient sur la stabilité que l’Appel de Daoukro garantissait à la Côte d’Ivoire. L’une comme l’autre accordaient la priorité au parti unifié. Et l’une comme l’autre s’en remettaient au meilleur élément d’entre les cadres du parti unifié, du soin de recevoir la succession.
Depuis 2014, mille déclarations se trouvent dans la presse où les ténors du RDR ont fait assaut d’ingéniosité, les uns pour répéter, commenter et expliquer le même propos, les autres pour commenter, expliquer et répéter le même propos, les autres enfin pour expliquer, répéter et commenter le même propos.
À force, le PDCI-RDA a fini par prendre acte de cette position et par l’intégrer dans ses perspectives. Pour le scrutin de 2020, son expérience de la gestion des affaires et des hommes, les leçons à tirer de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire et la situation sociale actuelle devraient pouvoir lui donner les éléments d’une offre politique séduisante. Le PDCI-RDA a tous les atouts pour représenter en 2020 une alternative crédible, si et seulement si la compétition est loyale et apaisée. Il a tous les moyens pour réussir s’il parvient à introduire dans ses perspectives une ambition affirmée et dans ses pratiques une rigueur, une organisation et une vision adaptée aux problématiques du temps.
En disant cela, je pense à la présence effective sur le terrain qui peut seule assurer au PDCI-RDA la connaissance des problèmes des populations et la garantie de leur adhésion. Je pense à la clarification de la position du parti par rapport à des visiteurs de Daoukro qui ont leurs histoires spécifiques, parfois parallèles à l’histoire du PDCI-RDA, leurs ambitions personnelles, légitimes au demeurant, et leurs propres projets qu’ils défendront pour eux et non pour le PDCI-RDA. Comment ne pas nous souvenir ici de cette formule de Philippe-Grégoire Yacé, assurant qu’ « en politique c’est comme au football, on ne fait pas la passe à l’adversaire » ? Je pense encore aux stratégies de mobilisation des ressources que le parti doit inventer pour compenser les déficits budgétaires auxquels l’exposent déjà et l’exposeront plus gravement encore les rigueurs de son statut d’opposant. Je pense enfin à la rédaction d’un projet clair, structuré, cohérent, sans lequel il est difficile, pour ceux qui considèrent le parti de l’extérieur, de lui accorder du crédit, ne sachant pas ce qu’il veut et ce qu’il offre aux Ivoiriens et au monde.
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Je voudrais, toujours sur la pérennité du PDCI-RDA, aborder – et j’en finirais là – un dernier aspect qui n’est autre que la question de la disparition du PDCI-RDA dans le parti unifié. Si ce projet s’était concrétisé, il se serait agi d’une fusion absorption pour le moins perfide. Le PDCI-RDA aurait renoncé à sa raison sociale si pleine de signification pour vous ses militants. Il aurait renoncé à son histoire si utile pour tous les Ivoiriens. Il aurait renoncé à son patrimoine si enviable et si envié de tous. Et il aurait consenti ce dépouillement, cette immolation, sans espérer en contrepartie la moindre rémunération, comme peut le laisser comprendre le refus de lui concéder l’alternance en 2020.
La pilule avait été savamment dorée pour arriver à cette extrémité. D’abord le RHDP a eu la double habileté de se présenter sous la bannière de l’houphouétisme et de se réclamer de trois idéaux chers au père fondateur du PDCI-RDA, le rassemblement, la démocratie et la paix. Le calcul était simple : comment, avec de tels arguments, le PDCI-RDA, inspiré par Houphouët-Boigny, pouvait-il raisonnablement montrer de l’hostilité au RHDP ?
Les adeptes du parti unifié avancent ensuite – assez timidement jusqu’à présent, il faut le reconnaître – une raison qui vient d’une comparaison. Se référant aux mues successives du parti de Charles de Gaulle en France – RPF en 1947, RPR en 1978, UMP en 2007, Les Républicains aujourd’hui – ils se demandent pourquoi il n’en serait pas de même pour le parti fondé par Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, pourquoi l’houphouétisme ne suivrait pas le même sort que le gaullisme.
L’argument de l’houphouétisme et la référence au gaullisme demandent quelques éclaircissements. Il convient d’abord de rappeler aux zélotes de l’houphouétisme que Félix Houphouët-Boigny lui-même n’avait jamais parlé d’houphouétisme sauf pour le récuser, qu’il ne s’était jamais réclamé de cette terminologie, et qu’en revanche, il s’était toujours et explicitement donné pour un simple militant du PDCI-RDA.
À propos de ses distances avec l’houphouétisme, rien n’est plus explicite que cette envolée de sa mémorable conférence de presse du 14 octobre 1985 ? « Voyez-vous, disait-il, je n’ai jamais parlé d’houphouétisme. Je fais ce que je peux pour servir mon pays en rassemblant toutes ses 60 tribus, en les engageant à un développement harmonieux. En donnant une chance égale à nos cultivateurs. Qu’ils soient de la côte, du nord, de l’est ou de l’ouest, ils ont la même rémunération pour leur travail. Qu’il s’agisse de café, de cacao, de coton, d’hévéa, de graines de palme, c’est partout les mêmes prix, l’État se chargeant d’assurer le transport. Nous donnons une chance égale à nos enfants, quelles que soient les couches sociales auxquelles ils appartiennent, du primaire à l’université, avec l’enseignement gratuit pour les meilleurs (…) La solidarité est effective : ce n’est pas un vain mot chez nous. Et la tolérance est absolue. Nous n’avons pas de détenus politiques. Nous n’avons jamais fait verser le sang d’autrui depuis que nous assumons des responsabilités à la tête de ce pays. Nous avons demandé à Dieu qu’il fasse qu’aucune goutte de sang humain ne soit versée ni par moi ni à cause de moi, en Côte d’Ivoire ou ailleurs dans le monde. Fasse Dieu que les différends qui peuvent survenir entre moi et d’autres personnes, entre mon pays et d’autres pays, soient toujours réglés de façon pacifique par le dialogue, à l’exclusion de tout recours à la force. Ce sont ces éléments peut-être qui ont fait dire à certains qu’il y a de l’houphouétisme. Mais voyez-vous, moi-même je n’ai jamais rien écrit. Et je le dis avec humour : les deux personnages de l’histoire qui n’ont jamais écrit un mot, une lettre, ce sont les plus lus dans le monde : c’est Mahomet et Jésus. »
Si Houphouët-Boigny se méfiait de l’houphouétisme, en revanche il était ardent chaque fois qu’il devait mettre en avant le PDCI-RDA. « Il nous arrive quelquefois, disait-il le 23 septembre 1965, d’entendre poser la question : la Côte d’Ivoire, sous la direction du président Houphouët-Boigny, mène une politique qui lui assure stabilité et crédit. Mais après sa disparition, cette politique sera-t-elle suivie par les jeunes ? »
Et il répondait : « Que ceux qui se posent cette question se rassurent. Qu’ils sachent en effet que, quelle que soit l’importance du rôle que je joue à la tête de ce pays en raison de toutes les responsabilités qui m’incombent, la politique de la Côte d’Ivoire n’est pas le fait d’un seul homme. C’est d’abord, on ne le soulignera jamais assez, la politique de notre parti, le PDCI-RDA, dont les vaillants militants et militantes ont à cœur d’assurer le bonheur de l’homme ivoirien dans la liberté. »
Pour relativiser l’importance de l’houphouétisme à côté du PDCI-RDA, quelle indication supplémentaire faut-il ramener de la source ?
Quant aux valeurs houphouétiennes du rassemblement, de la démocratie et de la paix, ceux qui, sans craindre de trahir l’esprit d’Houphouët-Boigny, ont mis en œuvre la fracture de 1994 et qui aujourd’hui passent leur temps à approfondir cette fracture en siphonnant le PDCI-RDA, en sciant ainsi, non pas une branche mais le tronc de ce que, pour le coup, nous conviendrions d’appeler l’houphouétisme, ceux-là peuvent-ils vraiment prétendre être les parangons de telles valeurs ?
Terminons par la référence au gaullisme que ses avatars successifs prolongeraient et vivifieraient. C’est très malaisément qu’on trouverait les éléments d’une comparaison rigoureuse l’houphouétisme. Si la célèbre étude de René Rémond sur les droites en France reconnaît dans le gaullisme des sucs butinés dans la droite légitimiste, dans la droite orléaniste et dans la droite bonapartiste, il n’en reste pas moins que cette dernière est l’alluvion nourricier majeur des vues de l’homme du 18 juin. Or la droite bonapartiste est une droite marquée entre autres par l’attachement aux chefs, lesquels ont parfois changé la dénomination sociale de leur parti en fonction de leurs intérêts du moment. Charles de Gaulle lui-même, plus soucieux d’incarner la France entière que de s’attacher à une partie des Français, avait, déjà de son vivant, consenti à voir changer le nom de sa formation politique. Née en 1947 sous la dénomination Rassemblement du Peuple Français (RPF), elle était devenue en 1954 le Rassemblement tout court, et De Gaulle avait fini par la supplanter de sa personne en déclarant : « La France c’est moi. »
Félix Houphouët-Boigny n’avait jamais éprouvé cette tentation. Il ne s’était jamais vu figé dans une statue du commandeur. L’idée de se projeter comme l’incarnation de la Côte d’Ivoire lui était inaccessible. C’était quelque chose que d’autres auraient pu imaginer à son sujet, mais que lui-même n’avait jamais ne serait-ce que suggérée. Jamais non plus, de son vivant, le nom PDCI-RDA n’avait mué comme cela était arrivé au parti de Charles de Gaulle. Ce sont autant de facteurs qui incitent à penser que le PDCI-RDA qu’il a voulu, qu’il a élevé et qu’il laissé en héritage à ses partisans doit vivre et qu’il vivra. Assurer cette survie en ces temps de turbulence et de doute est la mission qui vous incombe aujourd’hui, chers militants du PDCI-RDA. Je ne peux que vous souhaiter d’en être dignes.