Condamné à 20 ans, Blé Goudé, depuis La Haye: «C’est malheureux pour la Côte d’Ivoire qu’on distribue comme ça des condamnations, des mandats d’arrêt…»

Condamné à 20 ans, Blé Goudé, depuis La Haye: «C’est malheureux pour la Côte d’Ivoire qu’on distribue comme ça des condamnations, des mandats d’arrêt…»

 

Le président du Congrès panafricain pour la Justice et l’Egalité de peuples (Cojep), Charles Blé Goudé, a accordé une interview à Radio France Internationale (Rfi), ce vendredi 3 janvier 2020. Il a évoqué sa condamnation par la justice ivoirienne, le mandat d’arrêt international contre Guillaume Soro et bien d’autres sujets liés à l’actualité politique ivoirienne. 

Vous êtes condamné à 20 ans de prison, quelle est votre première réaction ? 

Je suis dans un état de surprise, parce qu’on me condamne par contumace, et je ne suis ni en fuite, ni introuvable. Je ne refuse pas de me présenter devant la justice de mon pays. Les autorités de mon pays savent où je suis. Puisque je suis devant la Cpi (Cour pénale internationale, Ndlr) par leur volonté de me voir juger pour des faits post-électoraux. J’ai donc été acquitté, la procédure est encore en cours et, à la surprise générale, on me condamne pour les mêmes faits dans mon pays. 

Cette instrumentation de la justice ridiculise le pouvoir en place et infantilise la justice. C’est malheureux pour la Côte d’Ivoire qu’on distribue comme ça des condamnations, des mandats d’arrêt… Comme si c’était des petits cadeaux de Noël que le Chef de l’Etat ivoirien voulait nous offrir, nous autres. 

Vous dites que vous êtes condamné pour les mêmes fats, la justice ivoirienne affirme que non. Elle vous reconnaît coupable de complicité de meurtre, coups et blessures volontaires, de violences et de voie de faits pendant la crise 2010-2011… 

Tout le monde a suivi le procès ici, à la Cpi. On parlait de violences post-électorales, on parlait de barrages, on parlait de meurtres… Il faut éviter de jouer avec la justice, l’instrumentaliser à des fins politiciennes pour un agenda que tout le monde voit, surtout dans une année électorale comme 2020. Je trouve que ce à quoi nous assistons sont les signes extérieurs d’une fébrilité. 

Tout le monde est traumatisé, tout le monde a peur. Cela ne donne pas confiance pour les mois à venir, pour les années à venir. Nous, nous voulons un pays calme. 

M. Blé Goudé, les Ong internationales n’ont-elles pas dit que vous étiez l’un des principaux acteurs de la montée des violences dans la Côte d’Ivoire des années 2010-2011 ? 

Tous les responsables de ces Ong ont défilé ici, à la Cpi. Et c’est au vu de ce qu’ils n’ont pas pu apporter des preuves que j’ai été acquitté, M. Boisbouvier. Alors, en moins d’une journée, un procès a lieu en Côte d’Ivoire et je suis condamné. Là où il y a eu des procédures pendant plus de 5 ans à la Cpi. 

Aucun témoin ne défile à la barre, en Côte d’Ivoire, et on me condamne. Où sont les témoins qui ont défilé devant la justice ? C’est honteux tout ça ! 

Donc, pour vous, le dossier est vide. Mais n’avez-vous pas été sanctionné par les Nations Unies, en 2006, pour direction et participation à des actes de violence commis par des milices de rues ? 

Pour votre information ces sanctions ont été levées. Avant même que je ne sois acquitté, ces sanctions dont vous parlez ont été levées. 

Et quand le procureur général près la Cour d’appel d’Abidjan réfute tout agenda politique dans le procès qui vous a été fait, comment vous réagissez ? 

Je lui dit bien, “M. le procureur, c’est vous-mêmes qui m’avez transféré à la Cpi pour des faits post-électoraux. Les faits pour lesquels vous me poursuivez à Abidjan sont-ils différents des faits pour lesquels je suis poursuivi à la Cpi ? « 

Est-ce une décision de justice ou est-ce autre chose à vos yeux ? 

C’est tout sauf une décision de justice. C’est une décision politique qui revêt un verni judiciaire. La stratégie du pouvoir est sue de tous : écarter toutes les personnalités politiques en Côte d’Ivoire qui sont des adversaires redoutables pour le pouvoir. Il faut donc les éloigner au maximum. 

Est-ce qu’il y a un rapport, selon vous, entre la condamnation de Laurent Gbagbo, début novembre, à 20 ans de prison et votre propre condamnation ? 

Mais bien sûr ! Le Président Laurent Gbagbo, c’est un adversaire redoutable. C’est quelqu’un qui, aujourd’hui, compte en Côte d’Ivoire. Charles Blé Goudé, qui vient d’être condamné à 20 ans, c’est quelqu’un qui compte en Côte d’Ivoire. Alors cette distribution de condamnations, comme de petits bonbons, ne rassure pas. Moi, je voudrais inviter le Chef de l’Etat ivoirien à nous rejoindre dans le processus de paix. Il faut pas qu’il affiche une fébrilité qui humilie la Côte d’Ivoire. Il faut qu’il nous rejoigne. Il faut qu’il accepte que des compétitions aient lieu. Il a dénoncé hier l’utilisation de la justice, il passe champion aujourd’hui dans l’utilisation de la justice. 

Quand vous dites, “il a dénoncé hier”, vous faites référence à quelle époque, M. Blé Goudé ? 

Nous étions en 1995, quand après la mort d’Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara a quitté le pays. Et il a dit qu’on l’empêche d’être candidat dans notre pays, parce qu’il est musulman. Et que la justice est utilisée contre sa personne. Je suis surpris que c’est ce monsieur-là qui, aujourd’hui, au lieu d’établir un état démocratique, tout à son honneur, il passe son temps à instrumentaliser la justice pour satisfaire son agenda politique. 

Vous souhaitez toujours une table-ronde, mais comment appeler au dialogue quand on est, comme vous, sous le coup d’un mandat d’arrêt ? 

Tout dépend du gouvernement de Côte d’Ivoire. Si tel est que nous recherchons la paix, d’un claquement de doigt, le Président Alassane Ouattara a le pouvoir de nous réunir, nous tous, pour que nous puissions discuter. N’est-il pas vrai qu’il y a eu une table-ronde à Marcoussis et que les Ivoiriens ont quitté Abidjan pour venir se réunir en France? Nous étions en 2003.

Aujourd’hui que Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé sont ici, Europe, pas de leur fait, si le Président Alassane Ouattara veut vraiment discuter il sait comment nous réunir. Et moi, je le supplie, je lui lance encore cet appel-là de réunir les acteurs politiques ivoiriens pour vider le dossier post-électoral. Il faut éviter de remuer le couteau dans une plaie qui est en train de cicatriser. 

Lors de votre précédente interview à Rfi, vous disiez, “Je ne suis pas un Hollandais, ma place est en Côte d’Ivoire”. Mais aujourd’hui que vous ne pouvez plus rentrer dans votre pays, est-ce que votre horizon politique n’est pas en train de s’obscurcir ? 

Non, non, non ! M. Boisbouvier, j’ai foi en mes idées. Donc, je ne suis pas pressé. Bien au contraire, moi, j’ai le temps. Et j’ai beaucoup de temps. Je suis un instrument de paix. Et cette condamnation ne m’empêchera pas du tout de continuer dans cette voie que j’ai choisi librement. 

Et en attendant votre retour, est-ce que vous allez soutenir un candidat, pour octobre prochain ? 

On n’en est pas encore là. Mon parti aura l’occasion de se réunir et rendra publique sa décision. 

Oui mais votre frère ennemi Guillaume Soro, par exemple, il a conclu un accord politique avec Henri Konan Bédié. 

Ça, c’est Guillaume Soro. Je suis Charles Blé Goudé. 

Un accord avec Bédié, est-ce possible ? 

Un accord avec les acteurs politiques dont j’aurai pris le temps d’étudier les projets politiques qui épouse ma vision societale. C’est seulement à ce prix-là que je pourrai soutenir quelqu’un. 

En août dernier, vous avez rencontré des délégués du Pdci, à la Haye. 

Bien sûr qu’ils sont venus m’apporter leur soutien dans la situation dans laquelle je me trouve. Et nous ne sommes pas encore à un stade de soutenir un candidat. 

Il y a un mois, vous avez rencontré votre frère ennemi, Guillaume Soro. C’était une première depuis 2010. Qu’est-ce qui vous rapproche ? Est-ce le combat commun contre Alassane Ouattara ? 

Jamais je ne me mettrais dans un combat contre un individu. J’ai décidé de rencontrer tous les acteurs politiques de la Côte d’Ivoire, pour que nous parlions de paix. On peut se rencontrer pour se parler. C’est pas toujours qu’on est d’accord. Guillaume Soro est venu, nous nous sommes expliqué, nous nous sommes parlé. Sa candidature n’était pas à l’ordre du jour de notre rencontre. Ce qui était à l’ordre du jour, c’était la paix dans notre pays. Il fallait vider ce dossier-là. Nous avons parlé, nous nous les compris. Pour le moment, je ne rends pas officiel ce que nous nous sommes dits. 

Le mandat d’arrêt lancé contre Guillaume Soro, pour complot contre l’Etat ivoirien, vous en pensez quoi ? 

C’est ce que le gouvernement ivoirien dit. Et l’affaire étant aux mains de la justice, il faut laisser la justice faire son travail. Je n’ai pas pour le moment à m’imixer dans une affaire judiciaire. 

Donc ce que vous dites, c’est que les faits qui vous sont reprochés sont faux, mais les faits qui sont reprochés à Guillaume Soro sont peut-être vrais ? 

Je n’ai pas encore dit cela. Ce n’est pas moi qui dit que les faits qu’ on reproche à Guillaume Soro sont vrais. C’est le travail de la justice de le dire. En ce qui me concerne, la Cour pénale internationale a conclu que ces faits-là n’était pas vrais. Et j’ai été acquitté. Voilà ce qui me concerne. Pour Guillaume Soro, il faut laisser la justice, à un moment donné, dire ce qu’il en est. 

Charles Blé Goudé, concrètement, maintenant que vous avez ce mandat d’arrêt lancé contre vous par la justice ivoirienne, qu’est-ce que vous allez faire ? 

Je vais m’entretenir avec mes avocats, dès cet après-midi. Et dès samedi, je ferai une déclaration publique pour dire au monde entier ce que je pense de cette affaire. En attendant, je dénonce ce harcèlement judiciaire. 

Retranscrit par E.G (lereveil.net)

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